32. La rivière

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Je marchai d'un bon pas malgré les ronces et les racines qui semblaient vouloir ralentir ma progression. J'observai les alentours en prenant un soin particulier à imprimer les détails de la forêt tout au long du parcours afin de retrouver mon chemin par la suite. Avoir un but à atteindre, aussi infime soit-il, me faisait du bien, malgré tout je ne pouvais m'arrêter de penser à Noah. Et alors que je m'enfonçai dans ces bois, je me remémorais nos moments ensemble. J'espérais au plus profond de moi qu'il soit capable de sentir le fait que j'étais encore en vie et que je n'attendais plus que le jour de le revoir. Comme une idiote, j'avais le secret espoir depuis mon arrivée, qu'il trouve le moyen de me rejoindre même si cela me paraissait peu probable...
Depuis notre séparation, une culpabilité insidieuse ne cessait de me ronger de l'intérieur, accentuée par le fait d'être seule et de n'avoir personne à qui me confier. Je me sentais si coupable d'avoir insisté auprès de nos amis, si égoïste de l'avoir entrainé là-dedans et surtout tellement lâche de l'avoir laissé. Je m'étais d'ailleurs fait la promesse qu'une fois réunis, jamais plus une telle chose ne se reproduirait...
La beauté et la quiétude de la forêt semblaient vouloir m'apaiser et je me félicitai d'avoir pris la décision de m'éloigner un peu de la cabane. Même si le soleil avait été haut dans le ciel, ses rayons n'auraient pu percer l'épais rempart que formaient les arbres et je pouvais sentir mes pieds s'enfoncer dans la mousse humide qui recouvrait le sol. Jamais, de toute ma vie, je n'avais eu autant de temps pour contempler la nature. Depuis mon arrivée, j'étais restée des heures le dos adossé au cabanon à regarder les nuages défiler et les oiseaux bâtir leurs nids à la cime des arbres, des heures entières à écouter les bruits autour de moi. J'avais aussi beaucoup pensé à mon père, m'imaginant ce qu'il était en train de faire, me remémorant d'innombrables souvenirs d'enfance... pleurant parfois.

J'estimai avoir marché au moins deux heures quand enfin je vis apparaître la rivière. Situé légèrement en contrebas, le lit du torrent était large d'environ une dizaine de mètres, mais ce dernier se retrouvait en grande partie asséché. Seuls quelques fins cours d'eau subsistaient et trouvaient leurs chemins entre les nombreux cailloux et rochers. J'étais soufflée devant une telle beauté sauvage et sans attendre, je dévalais le talus pour me retrouver à la hauteur du lit du ruisseau. Je m'aventurai entre les pierres afin de rejoindre l'eau, me gardant d'avancer dans un endroit trop à découvert de peur que quelqu'un me voie. Avec le bruit de l'eau, j'étais inquiète de ne pas pouvoir prévoir suffisamment tôt l'arrivée de quelqu'un et je ne voulais en aucun cas avoir de mauvaise surprise. Seule, sans équipement, vêtue d'habits à présent troués et poussiéreux, je me doutais que je devais faire peur à voir. Justifier ma présence ici s'avérerait une chose difficile et il valait mieux que cela n'arrive pas! Après un dernier regard appuyé autour de moi, je finis par m'agenouiller et plonger mes deux mains pour m'asperger le visage avec enthousiasme. En cet instant, je regrettais de ne pas avoir pensé à prendre les bouteilles qui traînaient à la cabane et qui m'auraient permis de ramener de l'eau.
Ne pouvant résister une minute de plus à cette eau translucide, je me hâtai de retirer mes vêtements et de m'asseoir à même la rivière. Je sentais chaque caillou et grain de sable contre ma peau à nue et la caresse de l'eau qui glissait le long de mes jambes était divine. Je ne pus lutter contre l'envie de jeter ma tête en arrière afin que tout mon corps se retrouve immergé. Je demeurai ainsi quelques secondes sans respirer, puis me redressai. À en croire la teinte bleutée qu'avait adoptée ma peau, la rivière devait être glacée. Je ne voulais pas rester trop longtemps éloignée de mon antre et voyant la nuit arriver à grands pas et le ciel se couvrir,  je me décidai à sortir de l'eau. J'essorai ma chevelure et renfilai mes vêtements à la hâte pour ensuite me remettre en route sans tarder.
Je n'avais pas de grandes difficultés à reconnaître les endroits où j'avais passé et progressai sans trop de peine dans la bonne direction. La nuit amenait d'autres bruits d'animaux que l'on ne percevait pas la journée, mais je m'y étais déjà suffisamment habituée pour ne pas m'en effrayer. Je n'avais par contre aucune envie de me prendre un orage sur la tête et me félicita lorsque les premières gouttes commencèrent à tomber et que je vis au même instant la clairière apparaître. Je me précipitai à l'intérieur de la cabane en souriant comme une enfant contente d'elle. Je retirai mes vêtements sales et encore humides et fouillait dans le sac pour en retirer de nouveaux, un jean et un débardeur noir, les seules habits propres qu'ils me restaient en dehors de ceux de Noah...
Finalement, cette pluie fut la bienvenue, elle apportait un changement dans la monotonie de mes nuits. J'en vins à apprécier le bruit des gouttes qui tambourinaient de manière soutenue sur le toit de tôle de mon abri. J'avais fini par allumer un feu, habitude que j'avais gardée depuis mon premier soir ici, comme un genre de rituel apaisant. En plus de me procurer du réconfort et de me faire passer le temps, ce foyer était devenu une sorte de compagnon d'infortune. Mais le cours de cette nuit prit une tournure tout à fait différente lorsque ma main s'arrêta dans son élan au lieu de finir sa course et d'aller déposer un énième morceau de bois sur les flammes.
J'arrêtai de respirer en même temps que je me focalisais de plus belle sur mes sensations. J'avais dû finir par supposer malgré moi que je terminerais seule dans cette forêt, car j'avais beaucoup de mal à croire en ce que je ressentais. Cela me semblait même faire une éternité que je n'avais pas éprouvé ce genre de perceptions, allant jusqu'à me demander si je n'avais pas rêvé. Je fronçai les sourcils, essayant de me concentrer de plus belle, mais il n'y avait pas de doute possible. Un dissocié était dans les parages, et je savais de qui il s'agissait.

Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant