Tout a changé ce jour là!

36. Malaise

Même s'il n'y avait pas grand-chose à faire, mis à part se balader, ramasser du bois ou encore rester coucher dans l'herbe pendant des heures, le fait de pouvoir le partager changeait absolument tout. J'étais contente que Nathan ne m'évite plus, je trouvais néanmoins cette intimité un peu troublante. Je ressentais une certaine gêne à me retrouver seule avec lui et une sorte de culpabilité à être ici sans Noah. Que penserait-il du fait que je me sois liée d'amitié avec un ancien membre du Conseil ? Je ne pouvais bien évidemment pas oublier que c'était à cause d'eux que nous étions séparés.
Paisiblement adossés à la cabane à même le sol, nous étions en train de profiter de la magnifique journée qui s'offrait à nous. Depuis l'arrivée de Nathan, je ne cessai de m'interroger sur le fait qu'il soit ou non au courant de quelque chose à propos de Noah et maintenant que nous étions plus à l'aise l'un avec l'autre je voulais tirer profit de ce moment pour le questionner. Je ne pouvais plus attendre; ne pas savoir me rongeait jour après jour même si j'essayai de ne rien montrer et je commençai timidement tout en regardant mes mains :
- Ce jour-là... je n'étais pas seule, tu te souviens... ?
- Oui.
Il avait répondu un peu froidement comme s'il s'était attendu à ma question et le ton abrupt de sa voix me surprit, mais je ne me laissai pas décontenancer et continuai :
- Sais-tu ce qui lui est arrivé ? lui demandais-je en retenant mon souffle.
Il resta les yeux fixés devant lui, comme perdu dans ses pensées. Le temps me parut si long que je me demandai même s'il m'avait entendue. Puis il répondit enfin sans me lancer un regard.
- Non.
Je ne m'étais pas préparée à une réponse aussi brève ni à un tel manque de réaction de sa part. Évidemment, il ne pouvait pas savoir ce qui me rattachait à Noah ou peut-être que si..
- Tu ne sais vraiment rien ! Je me retournai vers lui insistante, pourtant tu dois forcément être au courant de quelque chose !
Il finit par se tourner lui aussi un air étrangement agacé sur le visage.
- Non, ils m'ont envoyé pour m'occuper de toi ce jour-là et je ne sais pas ce qui est arrivé à ce dissocié! Je te l'ai déjà dit d'ailleurs.
Oui, il avait raison, je me souvenais très bien le lui avoir déjà demandé le jour de notre première rencontre. Mais j'avais espéré qu'en retournant sur ses pas il aurait appris quelque chose de plus... De toute évidence, cela n'avait pas été le cas ! Son agacement à parler de Noah était évident. Sans doute que parler de son passé le mettait mal à l'aise. Apparemment, il ne savait rien et je n'avais aucune raison de ne pas le croire. Je continuai malgré tout à réfléchir à sa réponse, à vrai dire je ne savais pas trop quoi en penser. Peut-être était-ce plutôt positif qu'il ne sache rien, car si Noah avait été capturé ou tué il aurait probablement été au courant. Mais d'un autre côté s'il avait été encore en vie à ce moment-là, pourquoi Nathan n'avait-il pas été utilisé pour le retrouver ?
Je gardai mes réflexions pour moi. Quelque chose dans le comportement de Nathan me disait de ne pas m'attarder sur ce sujet et j'évitai donc d'insister.
Incontestablement, la vie à deux était plus douce et les heures que j'avais passées à broyer du noir toute seule s'étaient transformées en longues conversations à deux. Une amitié sincère naissait entre nous. Il y avait pourtant un sujet que nous n'abordions jamais : l'avenir !
Quelque chose nous liait, mais nous n'en avions jamais parlé non plus et je n'avais toujours pas de réponse à apporter à l'origine de ce lien, mais je ne pouvais pas nier qu'il existait et j'étais persuadée que Nathan le ressentait aussi. D'ailleurs lorsque le sujet de notre rencontre revenait, Nathan semblait vouloir dire que quelque chose de différent s'était produit ce jour-là, différent de ce qu'il avait pu éprouver quand il avait été confronté à d'autres dissociés de notre génération.

Nathan passa des heures à couper du bois à l'aide de la hache rouillée restée contre la cabane pendant toutes ces années faisant fondre à vue d'œil le bois entreposé. Je savais qu'il faisait ça autant pour s'occuper que pour me faire plaisir, histoire que je puisse continuer à faire du feu.
- Comment as-tu découvert que ce lieu était protégé ? lui demandais-je ce matin-là alors que j'étais étendue dans l'herbe, jouant avec une brindille, pendant qu'il abattait encore sa hache.
Il ramassa un morceau de bois et le déposa sur le tronc qu'il avait installé près du tas de bois puis se tourna vers moi, essoufflé et en sueur. Il se passa la main sur le front. Je m'en voulais de lui poser des questions en lien avec son passé, mais j'avais  envie de savoir.
- Je l'ai découvert à la suite d'un... repérage. Le dissocié se trouvait dans un endroit où je n'arrivais pas à le détecter, jusqu'à ce qu'il bouge, un lieu tel que celui-ci. J'ai fait le lien au fil des années lorsque cela s'est reproduit. J'ai gardé cette information pour moi... au cas où...
Il frappa à nouveau le bois avec sa hache dans un bruit sec. Le fait qu'il répugne à parler de son passé me montrait à quel point il avait honte de cette période et de ce qu'il avait fait. En tous les cas, il me plaisait à le penser...
- D'ailleurs en arrivant, je n'étais pas sûr que tu aies suivi mes conseils et que tu sois venue jusqu'ici, car je n'ai senti ta présence qu'une fois suffisamment proche.
Effectivement, il ne s'était pas passé beaucoup de temps entre le moment où je l'avais moi aussi ressenti et le moment où il avait franchi le pas de la porte.
- Je suis content que tu m'aies fait confiance.
- Qu'est-ce que tu vas faire après ?
Il devait se douter que je voulais parler des jours, voire des semaines qui allaient suivre. Il finit par déposer sa hache et venir me rejoindre. Il s'allongea près de moi, tout en regardant ses mains blessées par son acharnement guérir sous ses yeux.
- Je ne sais pas vraiment, je n'y ai pas vraiment réfléchi....
Il continua ensuite comme pour lui-même.
- Si l'on souhaitait partir, c'est probablement maintenant qu'il faudrait le faire...