Tout a changé ce jour là!

38. Mensonge

Je pris la main qu'il me tendait et le suivis à l'intérieur. Nous étions contraints de nous pencher pour franchir l'ouverture afin d'éviter de nous frotter le dos contre la roche. Dès que je fus dedans, mes yeux s'habituèrent à la pénombre en même temps qu'une forte odeur d'humidité venait chatouiller mes narines. L'entrée était plutôt étroite, mais une fois celle-ci passée, une cavité spacieuse s'offrait à vous. Cet endroit semblait ne jamais avoir connu le passage de l'homme, seules les quelques pierres qui avaient été disposées au sol pour former un foyer et les vieux morceaux de bois à moitié calcinés pouvaient en attester du contraire. J'étais émerveillée par cette découverte et me disais, attendrie, que ce lieu avait dû être une cachette effrayante, mais idéale pour un enfant !
- Ça me fait plaisir de redécouvrir cette grotte en ta compagnie.
- Ça me fait plaisir aussi ! lui dis-je sincèrement.
- Qui aurait cru que l'on finirait ensemble ici toi et moi!
- En effet !
- Tu sais..., dit-il, hésitant, tout a été différent après notre rencontre...
Pourquoi gâchait-il ce moment en prenant ce ton là. Tout d'un coup gênée par la proximité qu'offrait la situation et ses paroles, je fis mine de me diriger vers la sortie, mais Nathan me retint aussitôt par le bras.
- Excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise; mais j'avais besoin de te le dire. Ne sens-tu pas ce lien qui nous unit ? dit-il avec empressement en me lâchant.
Je sentais son regard insistant sur moi, mais j'évitai de le regarder. Je fixais le sol, jouant du bout de ma chaussure avec un peu de terre. Oui, bien sûr que je le ressentais, mais je n'avais pas envie d'en parler, pas envie de me laisser troubler.
- Nous sommes probablement les deux seuls individus de notre génération à être encore en vie, étant donné l'énergie qu'a mise le Conseil à traquer notre génération !
Oui, quelque chose nous liait et cela était sans doute dû au fait que nous étions génétiquement très proches, je l'avais toujours supposé. Mais, je n'avais qu'une hâte : m'éloigner de lui.
Je ne voulais pas entendre la suite de ce qu'il avait à me dire et me dirigeai vers la sortie.
- Je... je t'ai menti...
Je stoppai net ma progression et quelque chose dans le ton de sa voix à peine audible fit monter en moi une sourde panique. Je fis volte-face et mon cœur fit un bon dans ma poitrine quand je lus dans son regard des traces évidentes de culpabilité. Il ne put d'ailleurs continuer à me regarder et se mit à contempler le sol en se dandinant d'un pied sur l'autre.
- Le soir où l'on s'est rencontré, j'ai fini par retrouver les membres du Conseil. J'ai appris alors que le dissocié qu'ils avaient poursuivi avait réussi à s'enfuir... Ils étaient furieux !
Il eut un petit rire nerveux. Mon cœur à moi avait cessé de battre à ce moment-là, je crois !
- Je sentais sa présence, mais, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j'étais encore troublé par notre rencontre... j'ai nié que c'était toujours le cas. Et dès que je leur ai dit que je m'étais occupé de toi, ils se sont calmés...
Il osa un regard vers moi et continua.
- C'était toi la cible, le reste n'avait pas vraiment d'importance et même si ce dissocié avait enfreint les règles, ils ont décidé de laisser tomber ! Il n'en valait pas la peine...
Il ne cessait de me fixer s'attendant probablement à une réaction de ma part, mais je le regardai sans pouvoir réagir. J'étais abasourdie, comme en état de choc. Je le dévisageai et me demandai dans quel but il m'avait caché tout ça ! Je me sentais trahi de la pire des manières, je n'arrivais pas à croire qu'il ait pu me mentir sciemment au sujet de Noah aussi longtemps. J'étais déçue, blessée et même si dans son discours je trouvais tout de même la confirmation qu'il nous avait protégés Noah et moi, je sentais une colère sourde monter en moi.
Je sentais aussi des larmes envahir mes yeux, des larmes de colère, mais aussi de soulagement ainsi qu'une multitude d'émotions contradictoires qui semblaient prendre possession de mon corps tout entier. Le sentiment de trahison douloureux se mélangeait au bonheur extrême d'apprendre que Noah était toujours en vie ! J'avais passé tant de temps à espérer qu'en avoir la certitude à présent me donnait le vertige.
- Emma, je... je suis désolé...
Je le regardai une seconde, mais je ne voulais plus entendre ce qu'il avait à dire. Je voulais partir au plus vite ! Bon sang, je n'avais plus aucune raison de rester ici une seconde de plus, le Conseil me croyait morte, je ne risquais donc plus rien. Sans attendre, je me ruai vers la sortie et me mis à courir de toute mes forces en direction de la cabane.
     Dès mon arrivée, à bout de souffle, mais grisée à l'idée d'aller rejoindre Noah, je me précipitai pour rassembler mes affaires. Je n'avais pas grand-chose à prendre et cela ne fut qu'une formalité. Je devais partir le plus rapidement possible, sans attendre ! J'avais déjà perdu beaucoup trop de temps à avoir peur et à m'appesantir sur mon sort !
Quand je me retrouvai à nouveau à l'extérieur, je  constatai que Nathan était de retour lui aussi. Il se tenait à bonne distance, les mains dans les poches, le regard triste. Il était hors de question que je lui parle, j'étais bien trop en colère contre lui.
Au moment où je passai à sa hauteur pour me diriger vers la voiture il m'interpella.
- Ne pars pas Emma, je t'en prie... reste.
Je m'arrêtai un instant pour le regarder et pris quelques secondes afin de l'observer. Je me surprenais à ressentir beaucoup d'affection pour cet homme et le voir si triste et désemparé me faisait mal malgré la colère que j'éprouvais contre lui. Comme je ne bougeai pas, il s'approcha et m'attrapa les deux bras.
- Ne va pas le rejoindre.
- Je ne peux pas rester, je dois aller le retrouver, il est mon complément et j'ai besoin de lui!
Ma voix se voulait ferme et j'essayai en même temps de me dégager de ses mains pour effectuer les quelques mètres qui me séparaient encore de la voiture. Mais il ne semblait pas être prêt à me lâcher.
- Il ne peut pas être ton complément, vous n'êtes pas de la même génération ! Je suis plus proche de toi génétiquement qu'il ne le sera jamais ! Je t'en prie, reste ici, reste avec moi. Nous avons des choses à accomplir toi et moi.
Il finit par desserrer son étreinte, laisser tomber ses bras le long de son corps et reculer, résigné. Je l'observai alors qu'il osait à peine me regarder à présent et me demandai si nous nous reverrions un jour ? À cette pensée, mon cœur se serra, je me rendais compte que je ne pouvais pas le quitter ainsi. Après un instant d'hésitation, je m'avançai vers lui. D'abord étonné, il resta sans bouger puis comprenant ce qui se passait, il ouvrit ses bras et j'allai m'y blottir. Cela ressemblait à des adieux et nous en étions conscients tous les deux.