39. Sens inverse

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Il desserra ses bras et ne chercha plus à me retenir lorsque je me dirigeai vers la voiture. Après quelques manœuvres pour tourner le véhicule je m'engageai sur le chemin. Je jetai un dernier coup d'œil dans le rétroviseur avant que le sentier ne bifurque et je constatai que Nathan n'avait pas bougé.
Je roulai environ un jour et demi sans m'arrêter, en dehors des moments où j'étais obligée de mettre de l'essence. J'avançai focalisée sur le seul but de rejoindre au plus vite la ville où Noah et moi étions arrivés voilà de ça une éternité ! Je prenais conscience qu'à présent le soleil et les bruits étaient devenus moins pénibles, mon cerveau s'était en quelque sorte reprogrammé et faisait mieux la part des choses sans que j'aie à m'en soucier continuellement. De toute manière, il aurait été hors de question que je perde encore du temps !
Plusieurs interrogations se bousculaient dans ma tête depuis que j'avais appris avec certitude que Noah était en vie. La principale étant de savoir s'il était toujours en France à me chercher où s'il avait regagné l'Angleterre. J'espérai que cela soit le cas sans quoi il pourrait se passer encore du temps avant que l'on se retrouve. Il valait de toute façon mieux que je rentre pour expliquer la situation à nos amis et solliciter leur aide. Je craignais moins de les revoir puisque Noah était en vie, mais j'espérais tout de même qu'ils ne m'en veuillent pas pour tout ce qui s'était passé...
Je reconnaissais les paysages que nous avions traversés voilà presque deux semaines. Bien qu'à ce moment-là, mon esprit était entièrement focalisé sur le fait de revoir mon père ! Je ne pus éviter de songer à ce qui s'était passé avec Nathan. Je devais admettre que je m'étais beaucoup attachée à lui. Je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il allait faire ensuite et être attristée de cette séparation. Il avait tenté de me garder auprès de lui cela ne faisait plus aucun doute. Je m'en voulais d'avoir laissé la situation s'enliser alors qu'avec le recul certaines choses m'apparaissaient évidentes. J'aurai dû mettre les choses au point bien avant... Est-ce que pour autant je pouvais lui pardonner d'avoir menti ?
Les kilomètres défilèrent et je voyais à présent le bâtiment de la gare se dessiner devant moi. Je me sentais de plus en plus nerveuse à son approche et pour me calmer ne cessais de me répéter que tout allait bien se passer ! Je ne ressentais aucune présence alentour, mais le stress que quelque chose m'arrête dans mon élan ne me quittait pas. Je ne devais pas me laisser déstabiliser par mes émotions et devais me concentrer sur ce que j'avais à faire. Il me restait suffisamment d'argent pour acheter un billet. Il suffirait que je fasse pareil qu'à l'aller et je serai très vite à nouveau en Angleterre! Sur le chemin du retour, j'avais pu constater combien ma mémoire visuelle s'était développée et une fois de l'autre côté de la Manche je voulais me persuader qu'elle m'aiderait à retrouver ma route.
L'horloge située sur la façade de la gare indiquait dix-neuf heures... Je me garai non loin de l'entrée, sortie de la voiture et après avoir jeté un coup d'œil autour de moi, j'attrapai mon sac et filai en direction de la porte. J'abandonnai le véhicule sans remords, je n'avais ni le temps ni l'argent pour le rendre en bonne et due forme ! Une fois à Londres, je demanderai à Frank de faire le nécessaire pour qu'elle soit restituée et les frais payés. Noah avait probablement dû montrer son identité au moment de sa location et il était hors de question de s'attirer des ennuis à cause de ça !
Obtenir un billet ne fut qu'une formalité à mon grand soulagement. Le prochain départ étant prévu dans peu de temps, selon la jeune employée qui me les avait vendus. Elle m'avait observée avec un mélange de surprise et d'étonnement et peut-être même un peu de pitié dans le regard, mais je ne m'étais pas posé plus de questions que ça et m'étais éloignée rapidement. Après avoir attendu fébrilement sur le quai, à l'écart des autres passagers, je montai enfin dans le train. Je jetai mon dévolu sur la première place de libre à côté d'une jeune femme absorbée par un livre qui heureusement pour moi ne me lança même pas un coup d'œil.
Les gens traînaient dans les allées, mettant leurs bagages en hauteur sans se préoccuper des autres. Cela paraissait faire une éternité que je n'avais pas côtoyé le monde "normal" et encore une fois je me surpris à ne plus sentir une once de lien qui me rattachait à lui! Je n'étais plus comme tous ces gens, sans doute que d'ailleurs je ne l'avais jamais été. J'étais une dissociée à présent de la racine de mes cheveux jusqu'à la pointe de mes orteils et n'avais qu'une hâte, retrouver les miens pour enfin profiter de ma nouvelle vie auprès d'eux. 
La tête dans les épaules, j'étais terriblement nerveuse dans cet endroit. En plus, quelque chose clochait, car je sentais les regards étonnés des autres passagers se poser sur moi lorsqu'ils passaient à ma hauteur. Cherchant une explication à leurs attitudes, je finis par baisser les yeux sur mes vêtements pour la première fois depuis mon départ et je compris. Mes habits étaient dans un état pitoyable ! Élimés et même troués à certains endroits, ils étaient si sales que l'on pouvait aller jusqu'à avoir des doutes quant à leur couleur d'origine! Après les jours que j'avais passés en forêt, ils n'étaient évidemment plus de première fraicheur, c'était le moins que l'on puisse dire. Bien sûr, je n'avais pas eu l'idée de m'arrêter sur le chemin pour en acheter de nouveaux et je le regrettais amèrement en cet instant, car la dernière chose que je voulais c'était que les gens me remarquent ! Un coup d'œil à une des fenêtres du wagon m'apprit également que mes cheveux étaient en désordre. Au moins, ils étaient plus ou moins propres étant donné que je les avais lavés régulièrement à la rivière. Rouge de honte, je passai avec empressement ma main dans mes mèches afin de les coiffer et de les faire paraitre plus soignés. Je comprenais mieux la réaction de la jeune femme qui m'avait vendu les billets à présent, car je ressemblais sans conteste à une vraie clocharde ! Je m'enfonçai dans mon siège avec le secret espoir de disparaitre en fixant mes mains, évitant ainsi le regard des gens. Je serrai instinctivement mon sac contre ma poitrine comme pour me cacher et fermai les paupières en me répétant une nouvelle fois que tout allait bien se passer...
Je fis mine de m'assoupir pour éviter qu'on m'adresse la parole et sentis que ma voisine sombrait dans le sommeil elle aussi. Au moins je serai tranquille de ce côté-là !

Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant