40. Emotion

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La traversée me parut durer une éternité et dès que la voix dans les haut-parleurs annonça notre arrivée imminente en gare, je n'attendis pas une minute de plus pour me précipiter vers les portes. Au moment de leur ouverture, je me pressai à l'extérieur et  une fois en dehors du bâtiment lui-même, je respirai profondément l'air frais de la nuit en fermant les yeux.
Sans perdre une minute, je me mis à l'écart pour prendre le temps de réfléchir à mes options. Je n'avais aucun moyen pour rejoindre Londres et il fallait bien compter encore près de deux heures de route pour y arriver. Je me voyais mal prendre à nouveau un transport en commun quel qu'il soit pour une durée aussi longue. Le trajet que je venais de faire m'avait suffisamment épuisée moralement ! J'observai d'ailleurs avec effroi au loin une partie des passagers agglutinés devant les bus.
C'est alors que mon regard fut attiré par cette cabine téléphonique un peu plus loin et après l'avoir fixée de longues minutes je finis par me diriger vers elle. Je m'arrêtai encore quelques secondes devant elle, puis me décidai enfin à y entrer. Je déposai mon sac à mes pieds, puis attrapai le combiné et alors que les battements de mon cœur s'accéléraient, je composai fébrilement le numéro du manoir. Première tonalité. Peut-être que Noah allait décrocher... et si ce n'était pas le cas qu'elle serait la réaction de celui qui allait prendre l'appel ? Deuxième tonalité. Je me mordis la lèvre inférieure alors que l'angoisse me tordait le ventre en attendant que quelqu'un réponde. Troisième tonalité. Mes mains s'agrippaient un peu plus au combiné pour éviter qu'il ne m'échappe lorsqu'enfin quelqu'un décrocha.
- Oui, j'écoute.
Je reconnus immédiatement la voix enjouée de Nadia et une émotion incontrôlable me submergea aussitôt. Un mélange puissant de bonheur et de tristesse qui me donna subitement envie d'éclater de rire et de pleurer simultanément ! Et finalement, ce furent des larmes de soulagement qui se mirent à couler silencieusement alors que je fermai les yeux pour apprécier cet instant. Incapable de répondre tant ma gorge était serrée, je sentais toute la tension que j'avais accumulée durant le voyage et même avant être en train d'avoir raison de moi.
J'essayai tant bien que mal de ravaler mes sanglots et de sortir un son pendant que la voix à l'autre bout du fil insistait :
- Allo ! Qui est à l'appareil ?
Il y eut quelques secondes de silence puis à nouveau :
- Emma ?... C'est toi ?
Le ton de sa voix était rempli d'espoir et mon cœur se serra à cette constatation. Elle avait deviné ! Après avoir pris une nouvelle inspiration, je réussis enfin à faire sortir les mots de ma bouche.
- Oui, Nadia... c'est moi, je.... Je suis de retour et je...
Je m'interrompis, car de l'agitation était perceptible dans le combiné, quelqu'un d'autre parlait derrière Nadia. Il y eut encore du bruit, un silence, puis c'est la voix de Frank tout aussi surprise qui se fit entendre à son tour :
- Emma ! Mais où es-tu bon sang ?
- Oh Frank ! Comme ça fait du bien de t'entendre.
Il semblait si inquiet que mon cœur se serra à nouveau de reconnaissance. Je continuai :
- Je suis à Folkestone, je viens de descendre du train, je...
Il ne me laissa pas finir ma phrase :
- Ne bouge surtout pas, je viens te chercher.
- Mais je...
- Emma ne t'inquiète pas, j'arrive !
Il mit fin à la conversation et je restai quelques instants incapable de la moindre réaction, le combiné toujours en main, abasourdie, puis je raccrochai à mon tour. Frank venait me chercher... il prenait les choses en main comme il l'avait constamment fait depuis que je le connaissais. Il n'avait exigé aucune explication et ne paraissait pas le moins du monde m'en vouloir. Une impression de soulagement si intense m'envahissait que je fus à deux doigts de m'effondrer dans la cabine. Heureusement, une de mes mains vint s'écraser contre la vitre et me maintint debout de justesse. Je n'avais pas eu le temps de dire grand-chose et encore moins celui de demander des nouvelles de Noah. Et j'espérais qu'ils prennent la route ensemble...
Je finis par reprendre mes esprits et après avoir récupéré mon sac je sortis de la cabine. Je revins sur mes pas pour aller m'installer sur un des bancs présents devant l'entrée. Il n'y avait plus grand monde, chacun ayant trouvé le moyen de quitter cet endroit et de rejoindre sa destination.
Plus d'une heure trente s'écoula sans que je ne bouge, restant attentive à la moindre voiture que je voyais approcher, incapable de réfléchir à quoi que ce soit d'autre qu'à l'arrivée de Frank et peut-être de Noah. Et enfin, je pus relâcher la pression quand je ressentis sa présence au loin, mais ne pus me cacher la déception de découvrir qu'il venait seul. Noah n'avait-il donc pas voulu venir m'accueillir? N'avait-il pas hâte que l'on se retrouve ? Ou alors.... il n'était toujours pas rentré, comme je l'avais craint. Un bref instant, je me demandai aussi s'il était possible que Nathan m'ait menti et qu'il lui soit arrivé quelque chose et qu'il n'avait pas eu le courage de me l'avouer ! Non, je secouai la tête, ce n'était pas logique, si le désir de Nathan avait été de me garder auprès de lui, il aurait été facile de me dire que Noah était mort, et non l'inverse.
Une dizaine de minutes plus tard, je vis enfin les phares du véhicule s'avancer dans ma direction. Je me levai du banc et attendis nerveusement qu'il arrive à ma hauteur, le cœur battant, incapable de faire un pas.
La voiture s'arrêta juste devant moi et Frank en sortit. Il fit le tour afin de venir immédiatement près de moi. Il ne dit rien, se contentant de me regarder d'un air grave et inquiet. Il jeta un coup d'œil sur mes vêtements puis sembla scruter mon visage comme pour s'assurer qu'il s'agissait bien de moi. Et sans plus de considération, il franchit les derniers pas qui nous séparaient et me serra dans ses bras. Je lâchai mon sac pour l'enlacer à mon tour, réconfortée par son contact, la gorge nouée. Il finit par desserrer son étreinte et me tint à bout de bras m'inspectant à nouveau comme s'il avait encore de la peine à croire que je sois vraiment là !
- Je suis vraiment content de te voir, tu sais ?  Nous nous sommes fait énormément de soucis pour toi. Tu es dans un drôle d'état ! dit-il en me regardant encore une fois de bas en haut. C'est à peine croyable que tu sois là !
- Je te demande pardon Frank, pardon d'avoir insisté pour partir sur Paris et de ne pas t'avoir écouté... je...
- Chhhut, ce n'est ni le moment ni l'endroit, dit-il en posant un doigt sur ma bouche pour me faire taire. Viens, rentrons !
Il coupa ainsi court à la conversation, et se pencha pour ramasser mon sac qu'il alla déposer à l'arrière. Il revint ensuite m'ouvrir la portière et m'adressa un sourire d'encouragement afin que je m'engouffre dans le véhicule. Je ne me fis pas prier et pris place sur le siège en observant Frank s'installer à son tour.

Tout a changé ce jour là!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant