Chapitre 1- suite 10

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      Tu t'es retourné le temps que j'enfile le jean. Il était à nouveau propre et sec, parties les taches faites en me roulant par terre. J'étais d'une faiblesse inouïe quand je suis sortie de la chambre, près de tomber dans les pommes d'une seconde à l'autre. J'ai regretté de ne pas avoir accepté la nourriture que tu m'avais proposée. J'ai avancé dans le couloir et tu m'as suivie. Tu marchais sans bruit, sans même faire craquer le plancher. J'ai tourné pour entrer dans la cuisine que j'avais découvert la fois précédente, mais tu m'as attrapée par le bras. J'ai tressailli à ton contact, incapable de te regarder.
-  Par-là, tu as dit.
J'ai secoué le bras pour te faire lâcher prise, mis de la distance entre nous. Tu m'as fait traverser le salon où les rideaux étaient toujours tirés, je n'y voyais rien. J'ai fait un pas et marché sur quelque chose qui m'a percé le pied. J'ai senti une décharge dans la jambe. Les larmes me sont montées aux yeux, mais je les ai vite essuyées, avant que tu ne les remarques. J'ai soulevé le pied et retiré un petit clou doré, le genre de clou dont on se sert pour accrocher les tableaux. Je me suis demandé ce qu'il faisait dans cette maison dans la mesure où il n'y avait aucun tableau à accrocher.
On a traversé une sorte de véranda pour rejoindre l'autre bout de la maison. Quand tu as ouvert la porte, la lumière m'a fait loucher. Une galerie courait sur toute la longueur du bâtiment. J'ai sauté à cloche- pied jusqu'à un canapé en rotin, je me suis laissée tomber dessus et j'ai pris mon pied dans mes mains, massant la marque rouge laissée par le clou.

Lorsque j'ai levé les yeux, j'ai vu les rochers. De gigantesques rochers polis et ronds, à cinquante mètres environ de la maison et deux fois plus longs qu'elle. On aurait dit une poignée de billes lancées par un géant. Les deux plus grands se dressaient sur le devant, percés de profondes crevasses, enserrés par cinq plus petits. Au milieu et sur le pourtour poussaient des arbres élancés couverts d'épines.
Je me suis assise et je les ai regardés. Ils juraient avec le reste du paysage, jaillissant du sol, tels des pouces. L'après-midi touchait à sa fin et j'ai fini par comprendre que leur couleur rouge venait du soleil qui les frappait, donnant à leur surface sablée des reflets rubis.
- Les Différents, tu as dit. C'est comme ça que je les ai appelés. Ils ne ressemblent à... Ils sont différents de tout le reste, du moins dans cette région. Ils sont seuls, mais ensemble, du moins de ce point de vue-là.
Tu es venu près du canapé et je me suis écartée. Tu t'es mis à tirer sur un bout de rotin, le tripotant jusqu'à ce qu'il se détache.
-  Pourquoi je ne les ai pas vus l'autre jour quand je courais? ai-je demandé?
- Tu ne regardais pas.
Tu as abandonné le bout de rotin avec lequel tu jouais et tu t'es tourné vers moi. Puis, voyant que je ne te rendais pas ton regard, tu es allé jusqu'à un des piliers de la galerie.
- Tu étais trop bouleversée pour voir quoi que ce soit.
J'ai examiné les rochers à la recherche de passages, de la moindre trace de travail humain .
Un tuyau en plastique émergeait au milieu et venait jusqu'à la maison. Il disparaissait sous la galerie à l'autre bout, à l'emplacement de la salle de bains. Des piquets en bois étaient plantés à espaces réguliers tout autour des rochers, les vestiges d'une ancienne clôture, peut-être.
- Qu'est-ce qu'il y a de l'autre côté? ai-je demandé.
- Rien de particulier. Toujours la même chose.
Tu as incliné la tête de côté pour indiquer le sol poussiéreux qui entourait la maison.
- Ce n'est pas par-là que tu pourras t'enfuir, si c'est ce que tu cherches à savoir. Ta seule route pour la liberté passe par moi. Et ce n'est pas de chance pour toi, parce que j'ai choisi de m'enfuir ici.
- C'est quoi ce tuyau? ai-je demandé, pensant que s'il en arrivait un jusqu'à la maison, il pouvait y en avoir d'autres, d'autres maisons, derrière les rochers.
- C'est moi qui l'ai posé. C'est pour l'eau.
Tu as souri, presque avec fierté, puis tu t'es mis à fouiller dans ta poche de poitrine à la recherche de quelque chose, puis dans tes poches de pantalon, d'où tu as sorti un petit paquet de feuilles séchées et du papier à rouler, j'ai scruté rapidement tes autres poches.
Laissaient elles voir de petits renflements? Est- ce dans l'une d'entre elles que tu mettais tes clefs de voiture? Tu t'es roulé une cigarette longue et mince, dont tu as léché les côtés.
- Où sommes-nous? ai-je à nouveau demandé.
- Partout et nulle part.
Tu as appuyé le front contre le pilier de la galerie et laissé ton regard errer vers les rochers.
- J'ai trouvé cet endroit, il est à moi, tu as dit, les yeux fixés sur ta cigarette tandis que tu réfléchissais. Il y a longtemps, j'étais petit à l'époque, la moitié de ta taille, environ.
Je t'ai jeté un regard.
- Comment êtes-vous venu jusqu'ici?
- À pied. J'ai mis une semaine. En arrivant, je me suis effondré.
- Tout seul?
- Ouais. Les rochers m'ont procuré des rêves et de l'eau, bien sûr. Il est particulier, cet endroit. Je suis resté deux semaines, j'ai campé au milieu des Différents, vécu grâce à eux.
Quand je suis rentré chez moi, plus rien n'était pareil.

Je me suis détournée, je ne voulais rien savoir de toi et de ta vie. Un oiseau décrivait des cercles très haut au- dessus de nos têtes, microscopique se détachant sur le ciel pâle. J'ai ramené mes genoux contre ma poitrine je les ai serrés fort, pour tenter de réprimer le cri de terreur qui menaçait de m'échapper.
- Pourquoi je suis ici? ai-je murmuré.
Tu as tapoté tes poches, puis sorti une boîte d'allumettes. Tu as montré les rochers.
- Parce qu'il est magique, cet endroit, il est beau. Et tu es belle, tu es belle et différente. Tout colle.
Tu as serré ta cigarette entre ton pouce et ton index, et tu me l'as tendue.
- Tu en veux une?
J'ai secoué la tête. Rien ne collait. Et personne ne m'avait jamais dit que j'étais belle.
- Qu'est-ce que vous voulez? j'ai demandé d'une voix brisée.
- C'est simple.
Tu as souri, ta cigarette collée au bout de ta lèvre.
- De la compagnie.
Lorsque tu as allumé ta cigarette, je lui ai trouvé une drôle d'odeur, plus naturelle que celle du tabac, mais moins forte que celle de l'herbe. Tu as inhalé profondément, puis tu as de nouveau tourné le regard vers les rochers.
J'ai remarqué une brèche au milieu, on aurait dit un passage.
- Combien de temps vous allez me garder? ai-je demandé.
Tu as haussé les épaules.

- Toujours, bien sûr.




Bonsoir! J'ai mis une musique qui ne vas pas forcément avec l'extrait mais c'est trop ma musique du moment ! Écouter la jusqu'au bout elle est géniale! 😏
Voilà, j'espère que vous  avez appréciés cet extrait  et comme toujours n'hésiter pas à voter🦁
Mercii, kiiiss😘

Lettre à mon ravisseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant