J'ai regardé Mama Louisa. Elle tremblait. Je me sentais mal moi aussi, mais je mettais un point d'honneur à dissimuler ma nausée.
- Ne les laissons pas gagner, ces salauds.
Tout le monde a hoché la tête. Ils étaient tous d'accord, unis comme les doigts d'une main, prêt à frapper comme un poing vengeur et aveugle. J'ai eu toute la peine du monde à ne pas baisser la tête, me cacher les yeux, me boucher les oreilles. Je voulais partir, mais il était trop tard. J'ai senti la main de Mama Louisa se glisser dans la mienne. Chaude. Sèche.
J'ai dégluti à grande peine. Personne ne me prêtait véritablement attention, mais je les savais tous à l'affût. Il était hors de question que j'échoue maintenant. J'ai vrillé mes yeux dans ceux de Lou. Il m'a lancé un regard curieux, comme s'il soupesait une orange avant de l'acheter.
- Quoi ?
Vite, vite, parle, Fil, parle vite avant qu'ils ne soupçonnent quoique ce soit.
- Nous devrions passer par l'autre côté.
Silence. Ils ont tous explosé de rire. Sauf Lou, naturellement. Mama Louisa m'a broyé la main. Mais je me sentais mieux, maintenant que j'avais ouvert la bouche. Mon sort n'était plus entre mes mains.
- Explique-toi.
J'ai tout déballé, à la vitesse rafale. À la fin, plus personne ne souriait. Tous me regardaient comme si je leur avais suggéré de foncer à travers un ouragan. J'étais suicidaire, pas inconscient.
Lou n'a rien dit pendant un très long moment. Il devait être en train de réfléchir à la fenêtre par laquelle il allait me balancer par-dessus bord. Dis-moi, Fil, tu préfères l'écoutille à tribord ou la grande baie vitrée de la cahute ?
- Tu es un petit malin, Fil.
J'ai arrêté de respirer. Et voilà, c'était fini, je n'avais pas été assez convainquant. J'ai vite lâché la main de Mama Louisa. Hors de question qu'elle tombe avec moi.
- Un petit malin qui réfléchit beaucoup trop.
Je sentais de grosses gouttes de sueur couler sur mon front, le long de mon cou, jusque sous mon t-shirt. L'atmosphère était étouffante dans la cale. Je pouvais toujours tenter de m'échapper. Sortir de la cale, oui, mais pour aller où ? Je me trouvais dans un gigantesque cercueil flottant.
- Mais un petit malin qui a de bonnes idées.
Quoi ?
- Cependant... veille à rester à ta place, la prochaine fois.
Les yeux gris de Lou m'ont cloué sur place. J'ai hoché la tête, réalisant à moitié que je n'allais pas finir jeté par dessus bord. J'entendais la respiration hachée de Mama Louisa, je sentais son souffle heurté dans mon cou. Je n'ai pas bougé. Pendant de très longues minutes. Durant lesquelles Lou peaufinait ma proposition avec ses "associés".
Lorsque tout le monde est sorti de la cale pour retourner dormir, pour retourner dans leurs hamacs, comme s'ils ne venaient pas de prévoir une mutinerie. Et moi aussi, je pars rejoindre ma couchette, ignorant si je viens de signer notre mort à tous. Mama Louisa me lance un long regard avant de partir du côté des femmes, à l'étage supérieur. L'immense dortoir est plongé dans le noir. Les lampes à huile sont trop dangereuses lorsque personne ne peut les surveiller. Heureusement, je connais mon emplacement par cœur. Je m'endors comme une masse.
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Où souffle le vent
Short StoryJ'ai regardé Mama Louisa. Elle tremblait. Je me sentais mal moi aussi, mais je mettais un point d'honneur à dissimuler ma nausée. - Ne les laissons pas gagner, ces salauds. Tout le monde a hoché la tête. Ils étaient tous d'accord, unis comme les doi...