Sylvain ne protesta pas quand son sauveur à peine sorti de son carrosse, lui cria:
- Tu peux rester ici quelque temps, tu t'occuperas des chevaux avec Justin.
- Merci monsieur.
Comme toujours, le maitre était pressé, il avait déjà disparu englouti dans l'imposante bâtisse sans écouter les remerciements de son nouveau protégé. Depuis quelques temps, il rencontrait beaucoup de garçons perdus sur les chemins de son village, ils avaient tous un air hagard comme s'ils étaient tombés de la lune. Ils parlaient avec un drôle d'accent pointu, ne savaient rien faire de leurs dix doigts et s'étonnaient de tout. Ils se faisaient parfois malmenés par les paysans qui les prenaient pour des simples d'esprit, mais ils étaient cependant loin d'être sots comme il avait pu le constater lors des rares discussions qu'ils avaient eu ensemble.
Monsieur le Baron les observait comme Monsieur de Bougainville avait observé les peuples qu'il avait découverts au cours de ses navigations dans l'océan Pacifique. Entragues était une sorte d'explorateur immobile, les indigènes d'un autre continent venaient à lui directement. Il n'avait parlé de ses soupçons à personne, pas même à sa chère épouse, car il craignait d'être pris pour un fou. Il se contentait de noter ses découvertes dans un grand carnet aux pages vierges qu'il cachait soigneusement au fond d'un tiroir dans son bureau. Il ne regrettait pas de s'être levé si tôt ce matin, il devinait qu'en arrachant ce garçon au pilori, il venait à nouveau de tomber sur un de ces voyageurs égarés.
Sylvain avait compris que pour survivre il devait s'adapter, il avait donc suivi à la lettres les conseils de Justin, brave homme bourru et paternel. Il s'était décrassé dans un seau d'eau froide tiré du puits, il avait accepté les vêtements propres que lui avait donnés la femme du cocher, il s'était assis avec les autres à la cuisine autour de la grande table en chêne et avait savouré le bol de soupe aux choux et au lard qu'on lui avait servi. Il avait mangé avec appétit une large tranche de pain et bu un verre de vin aigrelet, sans regretter une seule fois ses habituelles tablettes protéinées et ses sodas sucrés. Il était heureux d'être là, bien vivant, entouré d'une dizaine de serviteurs bavards et accueillants.
- Tu n'es pas le premier à passer par ici, lui expliqua Justin. Le maitre accueille tous les garçons perdus qu'il croise depuis quelques temps, ils restent quelques semaines à travailler au château et puis ils disparaissent comme ils sont venus.
- Combien en a-t-il hébergé?
- Une bonne douzaine depuis six mois.
A croire que les envoyés volontaires du programme de réhabilitation par le passé aboutissaient tous dans cette cuisine. Sylvain pensa aussitôt à Candice qu'il n'avait pas pu protéger comme il se l'était promis. Il osa une question:
- Accueillez-vous aussi des jeunes filles?
- Cela est arrivé deux ou trois fois, mais elles restent au château, avec la maitresse et ses enfants. Les garçons n'ont droit qu'à l'écurie.
-Et récemment auriez-vous croisé une jeune fille blonde, seize ans, très jolie.
- Non, pas vu la moindre mignonne, allez assez discuté mon gars! Le travail nous attend. Je suis sûr que tu es comme les autres et que tu ne sais pas tenir une fourche!
Le cocher avait l'intention de transformer son invité en un vaillant palefrenier, il aimait transmettre son amour des chevaux, l'art de les panser à grands coups de brosses jusqu'à ce que leurs poils brillent au soleil. En suivant ses conseils, Sylvain apprit à manier la fourche pour distribuer le foin, aérer la paille ou vider le fumier. Il transporta sans se plaindre des seaux d'eau et d'orge, il mena les chevaux au pré sans redouter de se faire écraser les pieds par leurs larges sabots. Il apprit à aimer l'odeur de l'animal, la douceur de sa peau frémissante sous les caresses, il se surprit à embrasser leur encolure puissante et à leur parler avec tendresse. Il avait oublié ses jeux vidéo qui l'occupaient des nuits entières, il découvrait la vie en pleine air et l'amour des bêtes.
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Le passé est-il parfait ?
AventureDans un monde futuriste, le gouvernement instaure une nouvelle peine pour les jeune délinquants, les renvoyer dans le passé, en 1788, peu avant la Révolution Française.