La beauté du jeu

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- Pourquoi tu joues ? Si tu sais que tu va perdre, que reste-t-il ?

- La beauté du jeu... Pour la beauté du jeu.

Je repense à ses mots, alors que je contemple son visage. Endormie, paisible. Elle est belle. D'une beauté douce, aux contours affinés, presque fragile.

Je suis amoureux d'elle.

Nous avons avons appris à nous connaître, nous nous sommes croisé dans la foule du lycée, un jour de vent. Tout le monde criait, riait, mais je n'ai vu qu'elle, l'air heureuse au milieu de tous ces gens qui paraissaient si brutes, si grossiers à ses côtés.

Muse de ma vie.

Que faisais-tu donc là ? Tu paraissais si décalée parmi eux. Comme une fleur perdue au milieu des mauvaises herbes. Délicate et souriante. Je n'ai vu que toi, ce jour là.

T'approcher ne m'a pas été facile. Pas que tu sois renfermée, ou hautaine, ou si solitaire. C'était cette aura autour de toi, cette impression que rien ne pouvait t'atteindre, cette sagesse diffuse que tes expressions dégageaient. L'obscure distance que l'on ressent devant quelque chose qui nous dépasse. Je ne savais pas comment t'approcher, que te dire ?

Tu lisais. Beaucoup, je l'apprendrai plus tard. J'ai saisi cette occasion pour t'aborder, un après-midi. C'était le début d'une amitié, quelques mots pour en évoquer d'autres.

Je suis tombé amoureux de toi, peu à peu. J'ai aimé tes sourires, la lueur dans tes yeux lorsque tu étais heureuse, ta volonté sans faille, ta façon de retenir tes larmes, les calles sur tes mains.

Je pensais qu'être là serait suffisant pour toi. Je ne voulais pas gâcher une amitié, pas te perdre pour des mots que je regretterai plus tard. J'y pensais, pourtant. Mais il y avait plus important que moi.

Toi. Ce que tu cachais pour ne pas être faible, les cicatrices qui apparaissaient sur tes bras et jamais ne s'effaçaient complètement. Tes yeux qui avaient perdu cette lueur si particulière. J'avais peur. Que faire, que te dire ?

Brisée, tu étais brisée. La cause n'avait aucun sens, seul importait ce que tu devenais, jour après jour, pâle fantôme qui pourtant se forçait encore à sourire. Mais on s'y trompait parfois, et l'espoir me brûlait le cœur. Tu me faisais mal. Je souffrais de te voir si transparente, si fragile.

Je ne savais pas quoi te dire, quoi faire, comment t'atteindre. Tu n'avais plus cette aura indicible autour de toi, ces sourires impertinents et doux. Tu portais ta douleur comme d'autres portent un manteau, terne et faussement protecteur. Tu ne vivais plus, ou si peu. Je voulais pourtant croire que tu y arriverai seule, comme tu l'avais toujours fait. Je priais pour que revienne celle qui avait accroché mon regard, un jour de vent, celle dont j'étais tombé amoureux.
Où était-elle cette fille ?

***

Je marche dans le noir en repensant à tout ça. Je m'inquiétais pour toi, de plus en plus. Et puis, je t'ai vu. Au bord du pont, j'ai cru pendant un instant que tu allais sauter et disparaître dans la rivière en contrebas. Mais tu n'as rien fait. J'ai hésité à t'approcher, mais je me suis finalement décidé. Au bruit de mes pas tu t'es retourné, méfiante d'abord, puis de nouveau ce sourire creux et triste.

- C'est toi.

J'ai eu le temps de voir le sang qui coulait sur tes bras, pas celui des petites cicatrices que l'on apercevait parfois, mais l'écarlate des ouvertures béantes, des seuls sourires qui te resteraient. Deux longs traits sur les poignets, agressifs, brillants. Puis tu es tombée, sans un bruit, sans un mot. Dans mes bras, mes bras qui tremblaient de pas vouloir te lâcher, et moi de ne pas pouvoir crier, appeler, n'importe qui. Il faisait froid.

Tes yeux se sont fermés, et c'était si terrible de te voir porter cette expression de calme, d'abandon heureux que tu dégageais. Si la vie t'avait enlevé tes sourires et ta lumière, il te suffisait de dormir pour te retrouver. Les poignets tout barbouillés de rouge, et ta poitrine qui ne se soulevait plus qu'à peine.

- La beauté du jeu, tu as chuchoté. Elle n'y est plus.

Non, ce n'était pas vrai, elle y était, mais tu ne pouvais plus la voir, cachée derrière tout le reste qui te rongeait. Les mots que j'aurais voulus te dire se sont perdus dans la rivière qui roulait sous le pont et ont fondu dans l'eau, avec mes larmes et mes espoirs de toi.

Tu dors, le visage calme. Tu es belle. D'une beauté douce, aux contours affinés, presque fragile.

Je t'aime tellement.

La beauté du jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant