Adèle, 6 Septembre 2014

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Comment ai-je pu être aussi naïve ? Comment n'ai-je pas vu ce qui se passait sous mes yeux depuis maintenant plusieurs mois, plusieurs années peut-être ? Juste au moment où je pensais que les choses allaient s'arranger entre Jean et moi. Quelle ironie !

Je sortais de la bibliothèque, et c'est là que je les ai vus : Jean et Clara. Je n'étais pas surprise de la rencontrer à l'université, parce que, bien qu'elle soit en congé maternité et que son accouchement soit proche, elle continuait d'assister aux soutenances de mémoires des étudiants dont elle dirigeait les recherches. Mais lui ? Que faisait-il là ?

Ils étaient assis à la cafétéria, et de là où je me trouvais, je voyais qu'il ne s'agissait pas d'une simple conversation entre amis. Jean était visiblement très perturbé par ce que Clara était en train de dire. Au fur et à mesure qu'elle s'exprimait, son visage semblait se décomposer sous l'effet de la surprise, ou de la peine ? Puis, brusquement, Clara a posé sa main sur celle de mon mari ! Je suis restée là, interdite, oubliant même de me demander s'ils pouvaient s'apercevoir de ma présence, là où je me tenais. Mais c'était impossible.

J'étais sous le choc et il m'a fallu plusieurs minutes avant de reprendre mes esprits et de retrouver le chemin métro. Une fois assise, j'ai réfléchi. Je me sentais humiliée et trahie, bien sûr. Mais je voulais comprendre. Qu'est-ce que Clara avait bien pu dire à Jean pour le mettre dans cet état ?

Soudain, la vérité m'a heurtée plein fouet, me coupant presque le souffle. Clara était enceinte de Jean ! Voilà pourquoi son problème d'infertilité s'était miraculeusement résolu du jour au lendemain. Je n'arrivais pas à y croire, et pourtant c'était évident. Je n'avais pas parlé à Jean de la grossesse de Clara. J'étais jalouse, et de toute façon, mon mari et moi ne nous parlons plus. Elle avait dû lui avouer aujourd'hui, c'est pour cela qu'elle lui avait donné rendez-vous.

Il m'était arrivé d'avoir des doutes sur la fidélité de Jean. Il y a quelques années, lorsque j'étais en Master 2, que je travaillais beaucoup, et que Jean était souvent de garde, je m'étais posé des questions. Puis je suis tombée enceinte de Robin. Si je suis vraiment honnête avec moi-même, je dois avouer que ce nouvel enfant était une tentative désespérée pour ressouder notre couple.

Ces derniers temps, bien que Jean et moi nous sommes beaucoup disputés, il était plus souvent à la maison, et je pensais que, même s'il avait eu une aventure par le passé, elle était maintenant terminée. Je ne souhaitais pas en savoir plus. Mais Clara ? Comment mon mari avait-il pu me tromper avec ma meilleure amie ?

J'ai fait de mon mieux pour masquer mes émotions tandis que j'allais récupérer les enfants à la crèche et à l'école. Tout en accomplissant mécaniquement les gestes du quotidien, je guettais l'arrivée de Jean et je me demandais mentalement si j'allais aborder le sujet de but en blanc, ou bien si j'aurais le courage d'attendre qu'il m'en parle. Et s'il choisissait de ne rien dire finalement ? Ou bien si je lui avouais que je les avais surpris Clara et lui, et qu'il niait en bloc ? L'incertitude était douloureuse, et, quand enfin j'ai entendu le bruit familier de la clé qui tournait dans la serrure, mon cœur a fait un bond, et ma gorge est devenue tellement sèche que je me suis demandé si j'allais pouvoir prononcer un mot.

...

Les enfants étaient couchés. Je me doutais que Jean attendrait que nous soyons seuls pour parler de ce qui s'était passé aujourd'hui. Son visage était défait. Mon mari paraissait rongé par l'inquiétude et le chagrin. Je me suis demandé quand est-ce que je l'avais vu sourire pour la dernière fois, mais aucun souvenir ne m'est venu à l'esprit. Le temps de notre bonheur était-il à jamais révolu ?

Quand il a pris la parole, j'étais à mille lieues de m'imaginer ce qu'il allait m'annoncer :

– Adèle, j'ai longuement réfléchi. Et je pense que nous devons déménager. Nous devons quitter cet appartement, quitter Paris. C'est la seule solution.

Je ne savais pas quoi dire. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Voilà qu'il se remettait à parler de déménager. Pensait-il que l'éloignement allait résoudre tous nos problèmes ? Il n'en demeurait pas moins le père de l'enfant de ma meilleure amie.

– Tu sais très bien ce que j'en pense. Et ton travail ? Et ma thèse ?

– Je pourrais très bien retrouver un poste dans un autre hôpital. En ce qui concerne ta thèse, Adèle, est-ce que tu n'aurais pas quelque chose à m'avouer à ce sujet justement ?

– Qu'est-ce que tu sous-entends exactement ?

– Ne me force pas à le dire à voix haute, tu connais la vérité, tu n'as pas besoin d'entendre des choses blessantes.

– Tu penses que je ne peux pas y arriver c'est ça ? J'ai reçu un mail de mon directeur de recherche, ma date de soutenance est enfin fixée...

– Adèle, arrête ! Je ne peux plus supporter de t'entendre parler de ça !

Il avait crié en prononçant ces mots. Je ne l'avais pas vu autant en colère depuis la fois où je lui avais annoncé que nous attendions notre second enfant.

– Je ne te comprends plus. Je croyais que tu me soutenais dans mon projet.

– Écoute, Adèle. Je ne sais plus quoi faire pour te ramener à la réalité. Je pensais que cela s'arrangerait avec le temps, mais c'est de pire en pire. Tu ne me laisses pas d'autre choix que de te mettre au pied du mur ; soit tu acceptes de déménager, soit nous partons sans toi. Je ne peux plus continuer ainsi.

En dépit de toutes nos disputes, c'était la première fois que Jean parlait ouvertement de me quitter. Ma tête s'est mise à tourner, un poids m'écrasait la poitrine et m'empêchait de respirer normalement. L'idée d'une séparation m'était insupportable, j'aurais tout fait pour éviter ça. J'ai fondu en larmes ; je n'arrivais plus à reprendre mon souffle. J'étais paniquée. Jean, visiblement ému par ma réaction, m'a prise dans ses bras pour tenter de me calmer.

– Je vais tout organiser, ne t'inquiète pas. Tu n'auras à t'occuper de rien. Nous allons recommencer à zéro, ailleurs. Je connais un endroit. Tout ira pour le mieux, tu verras.

J'ai tout oublié ; sa trahison avec Clara ; son mépris de mes ambitions et de ma carrière ; ma peur de l'isolement en quittant Paris pour un endroit inconnu. Je l'aurais suivi n'importe où, pourvu qu'il m'emmène avec lui. Tout ce qui comptait était qu'il ne me laisse pas. 

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant