Jean, 8 Septembre 2014

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Je suis soulagé qu'Adèle ait accepté de déménager. Je connais un petit village dans les Alpes. J'y allais en vacances avec mes parents avant la mort de mon père. Nous avons toujours un chalet là-bas, non loin d'un lac. Cela fait des siècles que je n'y ai plus mis les pieds, mais je suis sûr qu'avec du temps et de l'énergie, on pourrait rendre l'endroit agréable.

Partir, c'est tout ce qui compte. Quitter cet appartement, hanté par les souvenirs.

C'est de changement dont Adèle a besoin pour s'en sortir. Je n'ai pas réussi à l'aider jusqu'ici, mais je vais prendre les choses en main à présent. Je vais être là pour elle.

Lorsqu'elle m'a annoncé qu'elle voulait s'inscrire en doctorat, il y a trois ans, j'ai ressenti un immense soulagement. J'étais heureux de la voir enfin penser à autre chose qu'à Abel. Enfin j'étais soulagé, jusqu'à ce qu'elle m'annonce, trois mois plus tard, qu'elle attendait un bébé. Juste au moment où j'apercevais le bout du tunnel, quand Adèle commençait à se projeter dans l'avenir avec cette idée de thèse...

Je ne l'ai pas supporté. Je ne voulais pas de cet enfant. J'ai été très dur avec elle, je n'en revenais pas qu'elle puisse être enceinte. Il faut me comprendre, n'importe qui à ma place aurait pensé, comme moi, que ce n'était pas le bon moment. Après notre dispute ce soir là, Adèle est montée se coucher, et je suis allé fouiller dans le placard à pharmacie ; j'ai trouvé sa boîte de pilule contraceptive, et, en examinant la plaquette entamée, j'ai compris. Elle m'avait menti. Ce n'était pas un accident. Je lui en ai voulu sur le coup. Puis j'ai décidé de lui pardonner. Je lui ai dit que je serai là cette fois, qu'elle ne serait pas seule. J'espérais avoir la force de tenir ma promesse, de mieux faire qu'avec Abel. Mais j'ai échoué.

C'est pour cela que je veux l'aider aujourd'hui. Parce qu'en rencontrant Clara par hasard avant hier, j'ai compris que ma femme allait beaucoup plus mal que je ne le pensais.

La soutenance de thèse d'Adèle avait encore été repoussée. Cela faisait trois fois. J'étais inquiet pour elle. Je savais à quel point elle avait travaillé dur, et je ne supportais pas que son directeur de recherche la mène en bateau. J'avais proposé de parler à M. Hutchinson, de lui demander de fixer enfin une date, mais elle m'avait formellement interdit de m'en mêler. Déjà pendant son mémoire de Master 2, M. Hutchinson avait très peu très aidé Adèle ; elle qui a tant besoin de repères et d'encouragements. C'était il y a quatre ans. Abel avait presque trois ans. C'était difficile pour elle. Je travaillais beaucoup et elle venait de reprendre ses études. Elle se levait plusieurs fois par nuit parce qu'Abel faisait souvent des cauchemars. La journée elle devait assister aux cours et rédiger son mémoire ; alors je ne supportais pas que son directeur de recherche se montre si négligent. Mais c'est comme ça avec les professeurs à l'université... ils sont trop occupés à publier leurs articles et leurs livres pour se soucier de leurs étudiants. À l'époque j'avais fini par lui écrire. Bien sûr Adèle n'en savait rien. Je lui avais demandé, assez fermement c'est vrai, de lire les pages de son mémoire qu'Adèle lui envoyait et qui restaient sans réponse et finalement cela avait fonctionné, puisqu'elle avait obtenu la mention Très Bien.

Du moins c'était ce que je croyais jusqu'à ce que je parle au directeur de recherche d'Adèle. J'avais décidé de me déplacer en personne à l'université pour rencontrer ce M. Hutchinson et lui dire ce que je pensais de ses méthodes. Après avoir longuement erré dans les couloirs de la faculté d'anglais, j'ai fini par trouver la porte de son bureau. J'ai frappé, et un homme grand et maigre, d'environ soixante dix ans, à la voix chevrotante et aux cheveux grisonnants, m'a fait entrer.

– Que puis-je faire pour vous, Monsieur... ?

Il parlait avec un léger accent anglais.

– Monsieur Martin. Jean Martin.

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant