Chapitre 1. Cours, Tristan, cours.

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New York. Septembre.

Le clap clap de mes baskets sur le bitume mouillé. Les cris de mes poursuivants, qui hésitaient, ignoraient encore où j'étais. La sueur dégoulinait le long de mon épine dorsale. Le fond de l'air était chaud et humide. La nuit m'encerclait.

La sirène d'une voiture de police hurla et enclencha mes automatismes. Je réajustai ma capuche sur ma tête, crispai les épaules. Je ne pouvais même pas imaginer que les flics puissent me venir en aide. Ils me jugeraient aussi coupable que je l'étais aux yeux de mon gang. Mon gang. Une malédiction pour ma mère et mes deux jeunes frères, mais mon seul repère dans cette existence. Du moins, c'était valable avant.

Je ne savais qu'une chose. Je n'avais pas volé la dope de Santiago pour la revendre à mon compte. Je n'étais pas assez fou pour vouloir être le chef à la place du chef. À dix-neuf ans, c'était du suicide. Je n'avais ni l'âge ni les appuis requis. J'en avais fait, des conneries. J'étais un drogué. Un alcoolique. J'avais terrorisé les plus faibles au lycée. Mais je ne souhaitais pas diriger. J'imaginais autre chose pour moi, même si l'écran de mes rêves demeurait noir depuis un moment. Je ne désespérais pas complètement.

J'aurais aimé que ma mère et mes cadets soient fiers de moi. Sûrement pas grâce aux études. Ma scolarité avait été jalonnée de résultats calamiteux et de violences diverses. Je m'étais un peu trop battu, j'avais un peu trop épuisé la bonne volonté des profs que je provoquais. C'était comme ça que le gang m'avait repéré. Un type de ma classe lui avait parlé de mon caractère.

J'aurais pu susciter l'admiration de ma famille en sauvant quelqu'un, par exemple. Je ricanai. C'était trop tard. C'était ridicule. Je ne valais pas mieux que mon paternel, qui avait lui aussi fait partie du gang, et qui s'était barré après la naissance d'Angel, le plus jeune de mes deux petits frères.

Seul le gang avait su me montrer que je possédais une quelconque valeur. Le gang, mais surtout Santiago. Il avait cette façon de poser sa grande main sur ma nuque, qui me faisait me sentir important. Santiago avait commencé par bien m'aimer, puis par m'aimer de plus en plus.

J'avais bien vu que ça suscitait la colère de Richie, le second de Santiago. Sa colère et sa jalousie. Il devait se dire que Santiago ferait de moi son bras droit à sa place. Sauf que nous n'en n'avions jamais parlé. En plus, je ne pouvais pas prendre le risque de m'éloigner de Santiago pour rassurer Richie. Je me serais mis Santiago lui-même à dos. J'étais coincé. Son affection m'avait foutu dans la merde.

J'étais sûr que Richie avait dérobé la came, m'avait accusé et menacé les dealers que j'avais livrés, afin qu'ils aillent dans son sens. Il éliminait la concurrence et assurait sa place auprès de Santiago et des autres membres, en dénonçant la brebis galeuse. Et moi, je devenais la bête à traquer et à massacrer. Je savais de quoi le gang était capable. Il ne me raterait pas.

Quand Santiago m'avait envoyé un SMS en début d'après-midi, j'avais compris que Richie était passé à l'acte. Santiago me demandait ce que les dix kilos réservés à Manuel étaient devenus. Il me donnait rendez-vous sur les quais, le soir à vingt-et-une heures. Ça sentait mauvais. Très mauvais.

Les dents serrées, j'avais préparé un sac à dos avec quelques fringues et mes papiers. J'étais sorti de ma piaule, et j'avais refusé de dire à Angel et à Alex où j'allais.

— Occupez-vous de votre cul, les frangins, avais-je lancé avant de claquer la porte et de dévaler les escaliers de notre immeuble du Queens.

En bas, les hommes de main de Santiago m'attendaient. J'aurais dû me douter qu'il m'empêcherait de me défiler. En me barrant, j'avais tout du coupable idéal. Santiago me ferait tabasser, longtemps, lentement, et ma mère épuisée, qui cumulait déjà deux boulots, recevrait la visite des flics, lui annonçant qu'on avait retrouvé mon corps dans un container.

Tout ce que nous ferions pour toi, roman édité, trois chapitres disponibles.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant