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Il y a tant d'années... Si précieuses années...

En cette journée d'avril, la famille royale s'était rendue dans la forêt de Clèves. Dans nos livres d'histoire elle déterminait un point stratégique dont la beauté du lieu suffisait à l'oubli des devoirs. À travers nos âmes cependant, elle symbolisait la muraille salvatrice qui nous détachait des Vikings. Elle était l'unique rempart de nos deux nations.

Ce jour-là le soleil était clément et le vent délicat. Il soufflait entre les arbres et animait leur somptueux feuillage. Je me rappelle de nos armoiries encore dansantes, grands drapeaux blancs maintenant rouges sang.

La reine était une femme qui se démarquait par son allure fière et son intransigeance, mais aujourd'hui elle n'était plus qu'une simple maman à la recherche de son enfant.

« Sors de ta cachette petite coquine ! Je vais te retrouver, et t'avaler toute crue ! » Elinor hurla jusqu'à ce qu'elle apparaisse enveloppée de cette atmosphère prospère.

La femme accueillit dans ses bras sa fille et ses cheveux de feu, l'enlaçant et mimant euphoriquement un prédateur à l'assaut de sa jeune proie.

C'est à ce moment que le roi se distingua en posant son arme de fer sur la table. Il leur fit signe d'un bruit singulier que lui aussi voulait partager cette magnificence. C'était un souverain à la carrure puissante et au ventre replet et charnu. Un homme aimé et estimé par tous ses sujets pour son sens de la justice et sa bonté inégalée.

La princesse s'empressa de le rejoindre, elle se hissa sur la pointe des pieds jusqu'à atteindre l'arc afin de s'en emparer. Elle souhaitait agir comme son père, rêvant si fort d'égaler le souverain et de le rendre fier. Malheureusement, dès qu'elle eut l'arc en main, sa masse l'entraîna au sol tandis que son père s'esclaffait.

« Pourquoi n'essayerais-tu pas avec le tien ? »

Éclipsé dans son dos, il sortit un petit arc en bois blanc. L'arme était magnifiquement travaillée, simple et légère. La petite fille était aux anges et de minuscules étincelles traversèrent son regard. Ses mains claquèrent entre elles et ses pieds effectuèrent des petits sauts.

« Bon anniversaire mon petit ange ! »

*

La première flèche décochée perça le cœur de la princesse.

Après quelques essais peu convainquant, le roi fit son possible pour taire ses ricanements et ainsi aider sa fille. Il se rapprocha, lui conseilla de tendre la corde tout doucement vers sa joue.

Il lui donna le signal et avec beaucoup de mal l'enfant libéra la corde de ses doigts. La flèche vola, surpassant la cible avant de s'enfoncer dans les bois nébuleux qui les entouraient.

« Vas la chercher » lui conseilla la reine d'une voix douce et calme. « Elle ne doit pas être bien loin. »

Acquiesçant, la petite rousse remît son présent à sa mère. Puis elle courut confiante vers la forêt, ses cheveux roux accompagnant chacun de ses pas.

Elle s'enfonça à son tour dans cette sylve, manquant de tomber à certains endroits ; et ralentissant le pas, le souffle haletant. Le regard attentif, cherchant au sol, aux arbres. Elle ne cessait de marcher. Toujours plus loin... Peut-être trop loin ?

La distance qui la séparait de ses parents lui était inconnue. C'était une proie facile et pourtant elle se pensait grande et invincible, aussi courageuse que son père. Après tout, elle avait six ans aujourd'hui !

Soudain elle aperçut sa flèche arrimée dans un arbre. Le soulagement qu'elle ressentit la fit sentir plus légère, soignant presque ses pieds abîmés. Arrivée à sa hauteur, sur la pointe des pieds elle décrocha sa convoitise.

L'enfant regarda la pointe de l'arme, fascinée par ce qu'avait donné ce métal gris lorsque soudain, elle crût entendre un bois craqué.

Elle sursauta et serra la flèche contre son coeur battant pour se rassurer. Elle regarda furtivement les roches d'où le bruit avait émané ; tandis que sur son visage se peignait l'effroi. Sentiment qui s'accentuait au fil des secondes écoulées. Elle ne fit plus un bruit, à l'écoute méticuleuse du moindre son.

Un deuxième craquement. Sa respiration s'accéléra. Ses jambes, et tous ses muscles se raidirent afin de devenir comme ceux des poupées de cire que lui avait offertes sa mère.

Elle attendait, envisageait que ses parents viennent la chercher. Elle espérait que ce n'était pas un ours ou un de ces monstres qui hantaient ses cauchemars et le dessous de son lit.

Elle avait peur... Tellement peur...
Guettant le moindre bruit, le moindre mouvement...

Au bout de quelques minutes, son rythme cardiaque commença à ralentir, et son souffle se fit de moins en moins rapide. Elle voulait croire à un rêve, aussi elle se persuada avoir entendu un lapin. Pourtant, une chose au fond d'elle continuait de lui insuffler de la peur.

Nouveau craquement, suivi cette fois-ci d'un mouvement.
Nouvelle décharge d'adrénaline.

Brusquement un garçon aux cheveux bruns et à l'allure frêle, surgit devant la petite rousse arme à la main.

Elle éleva le regard pour détailler son assayant, mais ne vit qu'un garçon qui avait l'air à peine plus âgé qu'elle.
Sur sa tête reposait un casque en fer surmonté de cornes. Il dissimulait une partie de ses cheveux qui se nuançaient de châtain au soleil. Ses yeux étaient aussi verts que la forêt qui les entourait, sa peau plus hâlée que la sienne.

La peur qui la tenaillait depuis longtemps disparue. Réconfortée par le fait que ce ne soit qu'un garçon, elle expira et sourit. Néanmoins ses habits différents de ceux que portaient habituellement les villageois retinrent son attention. À l'opposé de l'arme qu'il continuait de pointer vers elle.

Elle ignorait le fait que c'était un viking, comme elle ignorait les tensions et la haine que son royaume nourrissait pour l'autre.

Anxieusement, il éleva dans les airs son poignard. La petite rousse ne comprit aucunement son geste et continua de faire briller sur son visage, l'innocence et la bienveillance que seuls les enfants savaient posséder.

Ils se contemplèrent un long moment. Le temps comme figé. Plus rien n'existait à part ces deux êtres que la nation opposait ; et qu'un poignard séparait.

Liés par leurs regards, elle croyait lire en lui d'innombrables interrogations. Il en paraissait torturé, comme si elles n'étaient pas désirées et qu'avec conviction il essayait de s'en défaire. Les sourcils froncés, la respiration lourde, mais les prunelles toujours immobilement perdues dans celles de l'enfant.

Finalement c'est d'un geste las qu'il abaissa son bras et renonça à l'offrir sanglante à Hela.  

Ses lèvres s'étirèrent et elle reprit le chemin inverse tout en lui offrant un signe de la main. Il la regarda péniblement s'éloigner, son âme persuadée de l'erreur commise.

Cette rencontre scella le destin...

Signant un pacte sanguinaire avec les morts ésseulés, ces deux êtres ne formeront plus qu'un. Le coeur entaché du sang de leurs ainés, ils se déchireront jusqu'à l'agonie. La souffrance se répandra dans leurs veines, empêchant tout amour de consoler leurs âmes meurtries. La haine nourrira le coeur de l'un, tandis que les remorts affameront celui de l'autre.

Cette histoire est la mienne. Je suis Mérida, reine du royaume de DunBroch. Et, je vous partage mon passé...

Saurez-vous rester jusqu'à la fin ?
Car mon récit... N'est pas un conte de fées.








*

CLANSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant