Chapitre 1 : Étrangers à la croisée des chemins

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Quelque-part sur les Terres Sauvages


Il pleuvait à verse depuis des heures. Les nuages semblaient de l'ouate noire alourdie d'eau roulant poussivement sur les Terres Sauvages.


Abritée sous le surplomb que formait la roche d'un promontoire au dessus d'elle, Eyàn regardait d'un air absent la pluie tomber. Plus loin dans la faille rocheuse, son frère loup, Arsan, était couché la tête entre les pattes. La jeune femme roula lentement l'épaule, déclenchant un éclair de douleur. Elle se remettait lentement, mais l'humidité ambiante n'aidait pas.

Voilà une semaine qu'elle avait quitté l'ost. Par mesure de précaution, elle évitait routes, chemins et sentiers, ne voyageant que par les bois, progressant de nuit, guidée par les sens aiguisés du loup, se reposant le jour. En fait de repos, elle ne faisait que somnoler, tendue, aux aguets, l'esprit fourmillant de questions mais emplit d'une seule certitude : Elle lui fallait trouver les Istari. L'Ordre des Mages était son seul espoir.

Redescendre seule vers Ered Lithui, les Monts cendrés, serait une lourde erreur. Elle n'y était plus attendue et nul ne se soucierait de l'aider. Aussi préférait-elle faire route vers Minas Eriol. Certes, elle ne trouverait aucun magicien dans ces ruines, sinon une armada de gobelins, d'ouargues et d'araignées, mais avec un peu de chance la cité déchue serait le point de départ de sa piste.

Elle poussa un soupir qui fit frémir ses narines des odeurs de terre et de feuilles mouillées, puis se leva, rabattit son capuchon sur son visage afin de se protéger de la pluie et reprit sa route après avoir sifflé Arsan. Elle ne dormirait pas aujourd'hui, autant poursuivre son chemin.



Minas Thar, une semaine plus tôt 


Les Hommes s'activaient dans leur antre de pierre. Les feux qu'ils allumaient scintillaient aux ouvertures, diffusant une âpre odeur de fumée. Ordres aboyés à la hâte, cavalcade, tintement de ferraille, grincement du bois, ils grouillaient en tous sens derrière leurs murs, dans l'appréhension du combat à venir. En contrebas, c'était la panique. Par cette nuit sans lune, sous la menace de ce qui descendait lentement, lourdement, en un flux cadencé des contreforts d'Ephel Dùath, tout s'affolait. Les cloches d'airains dans leurs clochers, les chiens à leurs piquets et les chevaux aux écuries, les enfants dans leurs lits et les flammes dans leurs braseros. Et les portes. Les portes qui claquaient, une à une, qu'on barrait, qu'on verrouillait, qu'on bardait de fer.

Minas Thar, la jeune citadelle taillée dans la roche, se barricadait, élevait précipitamment ses défenses, déjà au désespoir. Cette frénésie peu ordinaire était comme une dernier sursaut de vie, un dernier râle avant de rendre l'âme. A l'aube, Minas Thar ne serait plus. Chacun de ses habitants aura payé de sa vie l'affront fait au Seigneur du Mordor en venant s'installer si près de son territoire.

La Meute devançait la première ligne. Elle foulait furtivement la terre rocailleuse, filant droit vers les hauts murs de pierre. Là-haut les Hommes étaient aveuglés par leurs feux. Leurs regards incapables de percer les ténèbres étaient braqués sur le scintillement des torches portées par l'infanterie, encore loin de leurs portes. Ils ne virent pas les loups géants courir à leurs pieds.

Eyàn trottinait flanc contre flanc avec son frère. Le halètement des autres membres la talonnait, la précédait. Elle sentait leur faim et leur exaltation. La fragrance du sang n'était pas encore perceptible, seuls fleuraient la sueur et la frousse, mais la simple perspective d'en sentir le goût cuivré sur leur langue les rendait fou furieux. Malgré que Tïarna, sa mère et louve alpha ait quelques foulées d'avances sur eux, tous entendirent le bref grognement autoritaire qu'elle lança. Aussitôt la Meute se divisa, qui longeait la portion ouest de la muraille, qui longeait la portion est. A l'intérieur, les bêtes les sentirent. Jappements frénétiques et hennissement aiguës s'élevèrent, mais les Hommes n'entendaient rien au langage de leurs compagnons, et croyaient déjà connaître le danger.

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