Terres Sauvages
Son chemin croisa de nouveau celui du mercenaire plus tôt qu'elle ne l'aurait cru. Le lendemain de leur rencontre, alors qu'elle faisait route avec Arsan en plein jour, le son d'épées s'entrechoquant lui parvint d'un plateau en contrebas. Alertée, elle se tapit entre deux arbres afin de jeter un coup d'œil. Pointant le museau, le loup noir huma l'air et gronda. Sous la lumière tamisée du soleil, cinq lames tournoyaient en sifflant, reflétant tour à tour l'éclat de l'astre. Deux corps gisaient à terre dans leur propre sang. Les survivants menaient une lutte mortelle à quatre contre un. Eyàn identifia immédiatement tous les combattants. Les premiers étaient des Orcs, sans doute une escouades au vue de leur nombre et de leur Capitaine : une créature massive et verdâtre, fagoté de cuirs bouillis cousus d'os et revêtu de plates noires, un heaume volé engoncé sur le crane au-dessus de ses yeux reptiliens. Tandis que le lutteur solitaire, dansant au rythme des cliquetis d'acier, n'était nul autre que le mercenaire de la veille.
La première pensée de la jeune femme fut de s'éloigner tant qu'ils se battaient, profitant du fait que nul ne l'avait remarqué. Elle se relevait déjà quand, plus bas, l'archer fut désarmé par le plus imposant des Orcs. Son glaive alla rebondir contre un tronc avant de disparaître dans les fougères. Elle ne s'émut pas pour autant de sa position apparente de futur mit à mort, sachant pertinemment comment il allait réagir. Il ne la déçut pas : son arc fleurit dans sa main et il décocha une flèche dans la gorge du plus courtaud des Orcs, qui avait baissé sa garde en le croyant démunit. La créature s'effondra dans un geyser de sang bouillonnant. La chaleur du liquide noir dégageait une vapeur diaphane dans l'air ensoleillé. Sans perdre un instant, le mercenaire pivota sur lui-même -son arc ayant retrouvé sa place dans son dos, il empoignait maintenant son second glaive- et chargea l'adversaire qui tentait de l'abattre de dos. Cependant, il se retrouvait ainsi exposé aux coups des deux autres Orcs. En dépit de sa dextérité, l'issue du combat ne laissait pas de place au doute. Son corps finirait indubitablement par rejoindre ceux de ses victimes au sol.
Alors, en le voyant combattre avec un acharnement et une imperturbabilité sans pareils, Eyàn sentit quelque chose lui pincer le cœur. Pas de la compassion, mais plutôt une forme d'admiration. En cet instant, il combattait pour sa vie et pour rien d'autre au monde, ni terres, ni or, ni roi,, ni rien. Sa vie, seulement sa vie. Et bien qu'elle s'en défende, une part d'elle-même trouvait cela admirable. A bien y réfléchir, c'était la plus noble des luttes. N'était-ce pas pour cette raison que les déserteurs quittaient le front, que des novices prenaient les armes et que des seigneurs mourraient sur les champs de bataille ? Néanmoins, malgré sa formidable rage de vivre, il allait mourir, tués par des Orcs sans noms, croisés par hasards.
- Par Morgoth, jura-t-elle.
Pourquoi cette pensée lui était-elle si insupportable ?
En bas, le mercenaire peinait à venir à bout de ses adversaires. Il les affrontaient tous à la fois, parant et taillant cuir et chair au mieux, mais recevait en retour de nombreux coups qui, même s'ils ne semblaient pas l'affecter outre mesure, contribuaient à l'affaiblir petit à petit. Et c'est alors qu'il tomba.
Eyàn tressaillit.
« Tu tombes, tu meurs. »
La rengaine mainte fois répété par son père ne lui avait jamais parue aussi funèbre.
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Rogue Wolves
FantasíaAlors que Legolas parcourt le Rhovanion à la recherche du jeune rôdeur après lequel son père l'a envoyé, son chemin croise celui d'Arsan et Eyàn, frère et soeur, et loups-garous anciennement au service du Mordor. Frappés d'une malédiction, ceux-ci s...