Chapitre 5 : La trêve

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Minas Thar, douze jours plus tôt 


Sous sa peau de Louve, il était déjà arrivé à Eyàn de subir la faim. L'appétit était un stimulant nécessaire pour apprendre à chasser, puis, une fois l'expérience acquise, pour mieux apprécier de courir après une proie chaude avec la meute.



Par cette nuit de feu, alors que son frère et elle se ruaient vers le Sorcier pour le prendre en tenaille, elle sentit monter la faim. Cela n'avait rien de commun avait l'habituelle fringale qui lui rongeait la panse. C'était noir. Et brûlant. Profond comme un gouffre insondable. Insatiable.


Elle avait faim de chair humaine.


Ses crocs la lancinait de pouvoir mordre dans les organes chauds et palpitants.


Des hommes se dressèrent sur son chemin, elle grogna et les renversa d'un bond. Pas vous. Oh bien sûr, elle goûterait leur sang à eux aussi, en compensation pour celui versé par sa mère. Mais après. Pour le moment sa rage était tournée vers une autre proie. Le véritable assassin de Tiarna.


Arsan et l'atteignirent en même temps, surgissant à sa droite et à sa gauche. Ils ne lui laissèrent pas le temps de lever les bras. Ni même d'ouvrir la bouche pour proférer un autre sortilège. Les loups géant se jetèrent à sa gorge et y refermèrent leurs mâchoires.


Un élan de joie féroce pulsa dans le cœur d'Eyàn alors que le sang lui emplissait la gueule. Enivrée par l'odeur cuivrée, elle relâcha sa prise pour se pourlécher les babines. Arsan fit de même. Ses prunelles pâles luisaient d'une haine bestiale.


Le Sorcier bascula dans la fontaine et y flotta, inerte. Libérés de son emprise, le reste de la meute engagea la lutte contre les soldats, mais le gros des leurs avaient été éliminés quand les plus jeunes s'étaient arrachés à leur paralysie. Les humains, paniqués, n'en avaient pourtant pas perdus la raison, et avaient entrepris de les égorger, uns à uns, tandis que le frère et la sœurs se ruaient vers le Sorciers. Les loups-garous n'étaient plus qu'une poignée, surpassés par le nombre d'humains.


La Louve rousse s'apprêtait à seconder les siens quand un bruit d'éclaboussure lui fit pointer l'oreille.


Elle n'eut pas le temps de réagir.


Une main décharné l'empoigna par la nuque. Malgré son manteau de fourrure, elle sentait le froid de ses doigts osseux se répandre jusque-sous sa peau. Le Sorcier s'était redressé au bord de la fontaine, ruisselant d'eau trouble, la laine de ses robes imprégnée d'une large auréole sombre. Il agrippait les deux jeunes loups d'une poigne de fer.


- Maudits démons, gargouilla-t-il, des postillons rougeâtres moussant aux coins des lèvres. Que ceci soit ma dernière contribution à la défense de ma cité. Vous qui êtes mi-hommes, mi-bêtes, je vous déleste de votre moitié, et que nul hormis l'astre nocturne ne puisse vous la rendre.


Ce qu'il dit ensuite, les loups ne le comprirent pas, mais sa voix leur hérissa le poil sur l'échine et leur fit rouler des yeux fous. Lorsqu'il eut achevé ses psalmodies, la poigne sur leur nuque faiblit puis disparut alors que le Sorcier s'effondrait dans une gerbe d'eau souillée.
* * *
Terre Sauvages

Attachée au mince tronc d'un bouleau, la jeune Louve posait sur le feu un regard sombre. Elle était finalement prisonnière. Pas de l'Elfe, certes, mais prisonnière tout de même. La situation aurait encore pu tourner à son avantage si les Orcs avaient décidés de la livrer à une meute quelconque. Elle aurait ainsi bénéficié d'une escorte des plus sûres jusqu'à trouver ses semblables, et elle aurait pu se soustraire à la compagnie de ceux-ci sur leur consentement, ou en défiant leur alpha, pour reprendre sa quête. Or, après avoir déblatéré un long moment, les Orcs avaient choisi de la ramener à Barad-Dûr, la Tour Sombre, avec l'Elfe. Celui-ci y était pour beaucoup dans leur décision.


Legolas était attaché à l'arbre voisin. Arsan, muselé à une branche, se tenait plus ou moins tranquille. A quelques mètres d'eux, les Orcs s'affairaient autour du feu de camp à grand renfort de cris et grognements, se disputant tels des chiens les pauvres morceaux d'un lapin tiré précédemment. Les dominant tant par sa voix que par sa carrure, Burzak, capitaine de la troupe, beuglait à en vomir ses cordes vocales. Et c'était à cause de ça , que son destin était mis en péril. Elle coula un regard enflammé vers son voisin. La faute lui incombait également. Pourquoi,Pourquoi, l'avait-elle aidé ? Désespérée par sa propre stupidité, elle appuya son front contre ses genoux repliés.


- Maudis soient-ils tous, cracha-t-elle.


Pour ne rien améliorer, les Orcs, excités par la faim et le fumet que dégageait leur prise insuffisante à les nourrir tous, se remémorèrent soudain qu'ils avaient trois captifs de chair et d'os à leur disposition. Leur querelle prit alors un tour autrement plus menaçant, comme ils débattaient du choix à effectuer. A savoir, lequel des trois valait-il plus vif que dépecé ? Et lequel serait le plus savoureux ?


La jeune femme tira vainement sur sa corde, ne réussissant qu'à s'écharper la peau. La voix de Legolas s'éleva soudain à côté d'elle.


- Combien d'Orcs peux tuer ton loup en quelques minutes ? Demanda-t-il d'un ton bas.


Elle cessa un instant de surveiller la clique pour tourner la tête vers lui.


- Autant qu'il faudra. Pourquoi ?


- Et toi ? Combien ?


- Sans arme ? Aucun je crains, railla-t-elle.


L 'Elfe se tourna tant bien que mal malgré ses liens, et elle vit l'éclat d'une lame briller entre ses mains. Sa dague. Il était parvenu, elle ne savait comment, à la dissimuler à leurs kidnappeurs.


- Merveilleux. Nous avons une arme pour deux.


- Tu le fais exprès ? Je me battrai avec mes glaives, tu auras mon poignard.


- Il vaut mieux que tu gardes le poignard, vue ta propension à perdre tes armes...


Pendant un instant, il sembla sincèrement vouloir lui planter sa dague dans la gorge. Il contint néanmoins son agacement et reprit après un bref coup d'œil vers les Orcs.


- Dans ton intérêt, je te suggérerais de te décider rapidement.


Eyàn scruta ses yeux dans l'obscurité, mais n'y décela rien de plus que son assurance permanente, mêlé d'un brin d'aversion à son égard qu'il devait probablement s''efforcer de refouler pour l'instant.


- Je prend la dague, déclara-t-elle.


Le son sec des cordes tranchés lui répondit.


- Contourne le camp, je vais délivrer ton frère, souffla-t-il. Récupère nos armes quand je l'aurai lâché sur eux et rend-moi et glaives.


La pression des cordes sur ses poignets se relâcha et elle se redressa, trop heureuse que l'ombre les dissimulent. Elle allait reculer plus avant dans l'obscurité, lorsque l'Elfe lui attrapa le bras, l'obligeant à lui faire face.


- Pas de coup fourré. Rend-moi mes glaives dès que tu les auras.


Eyàn hocha la tête. Satisfait, il tourna les talons, puis s'immobilisa en découvrant le regard meurtrier d'Arsan posé sur lui.


- Oh, et si la bête pouvait éviter d'essayer de me mettre en pièce avant les Orcs...


- Tout doux Arsan, murmura-t-elle.


- Je doute que cela suffise...


- Cela suffit à garantir qu'il n'alerte pas les Orcs en grondant quand tu l'approcheras.


- Et pour ce qui est de ne pas mordre ? Railla-t-il, un sourcil levé.


Excédée, elle le foudroya du regard.


- C'est mon frère, pas un vulgaire animal. Mais si tu préfères, inversons les rôle. Je délivre Arsan et tu récupères les armes.


- Pour que tu te sauves avec lui pendant que je suis aux prises avec eux ? Hors de question.


Bien qu'elle y ai pensée, la Louve ne chercha pas à argumenter plus, s'ils tardaient trop à agir, les Orcs allaient finir par s'apercevoir que leurs prisonniers s'étaient libérés de leurs liens. Elle chuchota avant de s'éloigner :


- Délivre-le et il t'accordera un sursit.


Eyàn contourna le camp, parfaitement dissimulée dans l'ombre.


C'était Burzak qui s'était octroyé Dergamsa et l'arsenal de l'Elfe. Il les avait suspendu à une branche d'arbre, derrière lui, mais à porté de main. La jeune femme s'en approcha, veillant à rester invisible et silencieuse entre les branches basses. Elle n'eut pas à attendre longtemps, l'instant d'après, Arsan bondissait dans le dos de l'un des Orcs. Elle s'empara promptement de son épée alors que le capitaine de la troupe se retournait. Il n'était même pas debout que la Louve avait dégainé et lui avait tranché la gorge. Un frémissement la parcouru lorsqu'elle sentit la lame glisser sur l'os. Elle tuait pour la troisième fois.


Traversant le camp en tailladant à droite et à gauche, Legolas vint la rejoindre et elle lui jeta les fourreaux protégeant ses glaives. Entre-temps, son frère avait fait trois victimes. Le reste de la bataille se déroula dans la plus grande confusion à laquelle contribuait la lumière incertaine du feu et le nombre d'adversaires. Les Orcs, privés de leur meneur, n'avaient aucune méthode de combat. Aussi ne s'organisèrent-ils pas en se voyant assaillis, ce qui se révéla salutaire pour l'Elfe et la Louve. D'un accord tacite, ils avaient entreprit de les éloigner des flammes, puis de les achever dans l'obscurité. Arsan se chargeait de semer la pagaille dans le camp.


En retirant sa dague du ventre de la créature dans laquelle elle l'avait plongée, Eyàn constata tout à coup qu'il ne restait plus d'ennemis debout. Une trentaine d'Orcs gisaient au sol. L'air était saturé d'une odeur de fumée et de sang. La jeune femme baissa lentement les yeux vers la lame poisseuse de Dergamsa. Elle ne savait pas combien de temps avait duré l'affrontement, mais elle l'avait vécue dans un état second. A présent, elle était incapable de dire combien d'orques elle avait tué.


Un glapissement l'arracha à ses pensées. Elle releva la tête et découvrit Legolas, penché sur Arsan. Il venait manifestement de l'assommer et s'attelait maintenant à lui improviser une muselière.


- Qu'est-ce que tu fais ? S'exclama-t-elle en s'élançant furieusement vers lui.


- Ce que je fais ? Je m'assure que ta bête ne me causera pas d'ennui quand je vous conduirai à Mirkwood, déclara-t-il en se redressant.


- Quand tu... ? C'est hors de question ! Je ne vais pas là-bas. Éloigne-toi de lui !


Avec un soupir, il obtempéra. La Louve s'empressa de s'agenouiller auprès de son frère. A peine avait-elle posée la main sur la fourrure drue que, de la garde de son épée, l'Elfe la frappa avec détachement à l'arrière de la nuque.

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