Chapitre 1: L'Éveil

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Malgré la lourdeur de mes paupières et l'ankylose de l'intégralité de mes muscles, j'ouvre les yeux pour la première fois depuis... depuis une éternité. Tous mes sens semblent être aux aguets. Contrairement aux autres, mon odorat et mon goût ne m'apprennent pas grand-chose. Ma vue m'indique que je suis dans une chambre aux murs de couleur claire. Grâce à mon toucher, je sais que je suis allongée sur des draps et qu'un objet en plastique me couvre la bouche. Mon ouïe détecte des voix. Une voix en particulier retient mon attention. Elle me paraît familière, mais si étrangère en même temps.

Je me redresse lentement pour mieux les observer. Il y a une femme, dans la quarantaine je dirais, et un jeune homme. Ils discutent tous les deux assis sur des fauteuils à trois ou quatre mètres de moi. Ils se regardent droit dans les yeux. Même après quelques minutes, leurs regards ne se sont toujours pas dérobés.

La femme a un air sérieux, mais pas sévère. Sa voix est douce et rassurante. Ses longs cheveux châtains en queue-de-cheval et ses lunettes à grosse monture la rendent d'une certaine façon plus intelligente. Elle porte une tenue d'infirmière : d'une couleur bleue très pâle penchant vers le blanc. Je comprends sur-le-champ que je me trouve dans un hôpital et qu'elle doit veiller sur moi.

Le jeune homme n'a pas encore atteint la vingtaine, mais semble mature. Il est assez grand et baraqué. Il porte les cheveux courts et la barbe rasée. Son visage est crispé et larmoyant. Sa voix, je la connais. Je le dévisage. J'examine chaque détail de cet homme. Rien à faire, je ne me souviens plus.

Je tends l'oreille pour écouter leur conversation en douce... À en voir son visage rougeâtre ruisselant de sanglots et la façon dont il hoquette, je conclus qu'il a commencé à pleurer il y a très longtemps... Sans aucun doute depuis qu'il a appris la mauvaise nouvelle : il a perdu —ou perdra— un proche. Cette information, je l'ai retenue de leur discussion on ne peut plus balbutiée. Le pauvre, il est chagriné, pour ne pas dire anéanti.

—Elle est la seule qui puisse tout savoir, dit calmement l'infirmière. Il suffit d'être patient. Tout s'arrangera, crois-moi.

—Mais... combien de temps encore ? Combien de jours, combien de mois ? Je veux savoir !

—On ne peut jamais le savoir. Seul le temps et Dieu le savent...

Le jeune homme détourne la tête et dans un mouvement lent, mon regard et le sien se croisent. Il fait un bond et s'écrit :

—Elle est là ! Regardez ! Elle est consciente !

En une fraction de seconde, ils m'entourent. L'infirmière m'observe d'une manière peu commune, comme si elle venait de voir une chose inimaginable... Un fantôme ?

—Comment vas-tu ? Comment te sens-tu ? bégaie-t-elle.

J'enlève le masque qui me couvre la bouche, tout en pensant à ce que je m'apprête à répondre. Ayant moi aussi de la difficulté à m'exprimer, je bredouille quelque chose du style :

—Plutôt bien, mises à part quelques douleurs au dos et des fourmis dans les jambes.

—Formidable, tu n'as, à première vue, aucune séquelle grave ! Simplement fantastique !

Je suis enfin sortie de cette étrange obscurité ! Je suis prête à profiter de la vie et... J'ai peut-être parlé trop vite... Mon cœur fait soudainement un bond dans ma poitrine et cela me cloue à mon lit. Ma respiration se transforme en une sorte de halètement. Elle se fait plus faible. Les battements de mon cœur retentissent dans mes tempes. Tout autour de moi devient flou et j'entends la voix de l'infirmière résonner dans ma tête. Plusieurs gens m'entourent : des infirmiers, des aides-soignants. Je ne veux pas fermer les yeux. Hors de question de retourner dans cet univers si sombre que je viens de quitter. Je résiste. À chaque clignement d'yeux, j'espère trouver la force de les rouvrir. Puis au bout d'un certain temps, je ne peux pas dire combien exactement, mon regard replonge dans un noir total. Je peux entendre un bruit assourdissant et égal : l'électrocardiographe ne forme plus qu'une ligne droite. Mon cœur a finalement arrêté de pomper le sang dans mon corps. Il s'arrête et je pantelle mes dernières respirations.

Déjà-Vu Tome1: Les souvenirs du FlambeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant