Amélia

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Amélia

Béatrice Ghattas

«Elle n'avait rien accomplie d'extraordianaire, certe, mais elle était ambitieuse. Elle avait des projets extravagants et des idées révolutionnaires. Elle voulait changer le monde, le rendre meilleur. Des paroles en l'air, peut-être, mais jamais de mensonges. Elle croyait fermement tout ce qu'elle affirmait. Bien qu'à travers les années, son opinion avait légerement différé de l'original, sa personnalité n'avait rien d'instable. Au contraire, depuis toute jeune, elle n'a jamais changé d'attitude. Pas une seule fois ses parents n'ont réussis à la faire changer d'avis sur quoi que se soit. Elle était bien têtue cette petite. Elle était la seule personne qui réussissait, parfois, à finalement faire retourner ses idées. Elle seule avait un certain pouvoir sur elle-même. Elle avait contrôle sur sa vie depuis le premier jour. Probablement un des bébés les plus turbulants jamais rencontrés dans toute ma carrière. Mais un des plus calme aussi, étrange n'est ce pas ?»

La femme assise en face d'elle la toisait avec un regard interrogateur, elle attendait visiblement une réponse. Elle attendait son avis sur la question, à laquelle elle s'empressa de répondre.

- «Oui, étrange.»

Même après tout ce qu'elle lui avait révélé, cela lui semblait la réponse la plus appropriée. De plus, contrairement à la jeune fille qui lui était décrite, elle n'a jamais vraiment eu d'opinion sur quoi que se soit. Son travail consistait seulement à filmer et poser des questions qu'elle n'avait même pas écrites. Mais cela lui importait peu, elle n'avait pas grand intérêt à avoir un avis si il ne lui était jamais demandé.

- «Elle n'avait même pas encore 16 ans.»

La journaliste releva la tête de son cahier de notes où elle avait minutieusement transcrit chaque mot pronnoncé, jusqu'à présent. La phrase avait attirée son attention, sans aucune raison particulière. Peut-être le simple fait que la fille était si jeune la touchait elle. Sans aucun doute. Cela aurait touché n'importe qui, une telle tragédie.

- «Parler moi un peu de son père, comment était-il avec elle ?»

La femme en face d'elle la dévisagea avec incrédulité, comme si la réponse à cette dernière question était écrite sur son front. En effet, la question était un peu absurde, vue la situation dans laquelle ils se trouvaient maintenant. Le père de la jeune fille n'avait pas l'air d'un homme bien sympathique. Ce n'est pas quelqu'un qui méritait, selon la journaliste, d'être défendu. Ce qui la fit réfléchir sur le genre de personnes qui défendaient les intérêts de ce genre d'homme. Elle désaprouvait sincèrement tous types de gestes violents injustifiés. Elle détestait au plus haut point les hommes qui battaient leur femme ou leur enfant. C'était, pour elle, un acte inhumain d'une cruauté vive. Elle méprisait les armes à feu et les films d'action que son mari adorait tant. Elle était particulièrement sensible à la vue du sang ou de blessures graves. Le fait d'avoir été abusée toute jeune par son père avait peut-être quelque chose à avoir avec tout ça. Un passé douloureux qu'elle n'aimait pas aborder. C'était toujours un sujet sensible pour elle. Pourtant, elle était celle qui avait insisté pour prendre en charge cet entretien. Mais elle interrompit ses pensées contradictoires en entendant la femme parler à nouveau.

- «Il n'a pas toujours été comme ça avec elle.»

Elle prit un moment de réflexion avant de reprendre la parole.

- «Quand sa femme est décédée il a commencé à boire un peu plus. Je lui disait qu'il fallait avertir la police, quelqu'un. Tout ce qu'il faisait était mal, très mal. J'aurais du intervenir mais elle refusait et je m'en veux maintenant de ne pas lui avoir désobéit.»

La dame tourna son visage vers la fenêtre qui offrait une vue magnifique sur la ville. La ville calme et paisible, rien comparé au tourbillon d'émotions qui avait prit place dans le cœur de la jeune journaliste. Celle-ci prit le temps d'observer les yeux et le visage de la personne en face d'elle. Elle devait être dans la cinquantaine, on voyait la peau ridée et les traits tendus d'une femme d'expérience, une femme aimante même. Car elle aimait la fille, elle l'avait pratiquement élevée cette petite. C'était le genre de personne qui donnait toujours de bons conseils et qui vous écoutait avec attention avant de vous réconforter. Le genre de femme qui s'occupait plus des autres que d'elle-même. C'était l'image parfaite de la grand-maman gâteau qui cuisinait toujours des biscuits et des desserts et dont la maison, dès qu'on y entrait, nous assaillait avec une délicieuse odeur de chocolat chaud et de guimauves. La jeune femme ressentit le besoin de la rassurer, de la réconforter et de lui dire que tout allait bien.

- «Vous n'êtes pas responsable des sa mort. Le seul responsable dans cette malheureuse situation, c'est son père. Il a d'ailleurs eu ce qu'il méritait.»

La femme agée la regarda de ses yeux verts, cherchant un indice de sincérité dans son visage, dans son regard chaleureux. Elle sembla avoir trouvé car elle sourit, les coins de ses lèvres se soulevants légèrement, laissant un peu apparaître ses dents.

- «Je sais bien que ce n'est pas ma faute. Mais j'aurais pu l'empêcher. Et cela m'attriste énormément de ne pas pouvoir lui exprimer mes excuses en face. Lui dire à quel point je suis désolée. Il est trop tard.»

La jeune journaliste releva une fois de plus la tête de ses notes, surprise peut-être, par les paroles de la femme. Il n'était jamais trop tard. Et si, dans son cœur, elle était franchement désolée, alors la fille aussi lui aurait pardonné. Elle aurait aimé lui divulguer tout cela mais malheureusement, le temps lui manquait. Elle lui donna donc son sourire le plus amical et étteignit la caméra. Elle se leva de son fauteuil et l'autre femme fit de même. Elles s'étreignirent. En jettant un dernier coup d'œil à ses notes, elle se rendit compte qu'il lui manquait l'information la plus élémentaires de toutes.

- «Je viens de réaliser, commença t-elle, avec une pointe d'amusement dans la voix, que je ne connaîs même pas son nom.»

- «Amélia, c'était son nom.»

AméliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant