La lettre de Lucie

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Mon cher Walid,

J'ai mûrement réfléchi avant de commencer cette missive ; je n'ai pas écrit sur un coup de tête et je mettrai certainement quelques jours avant d'en venir à bout. Je pense que ma poubelle se remplira lentement de boulettes, de mes essais jusqu'à ce que je trouve la bonne tournure, la bonne formulation, pas certaine d'y parvenir.

J'ai devant moi un gros bloc de papier chinois et de Chine tout à la fois, mais pas celui que j'utilise si souvent pour mes dessins. J'espère que tu saisiras cette nuance.

Durant mon séjour, je n'ai pas reçu de courrier de toi... juste le livre, en provenance de ton éditeur, sans rien de toi... Merci pour ce geste et surtout pour mon nom sur la couverture, mon humble participation à cet ouvrage.

Depuis ma tendre enfance, la maladie m'a accompagnée, je n'ai pas eu plus fidèle amie car même lorsque je ne sentais plus sa présence, elle était là, en moi, insidieuse, guettant l'instant propice pour réapparaître et s'emparer avidement de mon corps.

Sarah était, est ma seconde amie et ma sœur ou l'inverse, peu importe, les deux à la fois. Mon univers est, était monotone, une sorte de grisaille que j'égaye sans cesse avec ma peinture, mes lectures et par les joyeux éclats de vie de celle que tu as fréquentée ; pour toi, tour à tour Sarah amie, Sarah amante puis Sarah amie de nouveau.

Ton arrivée à L'île D'Aix ressemblait pour la chétive créature que je suis, à un rayon de soleil, très vite obscurcit par l'astre Sarah, une comète qui passait régulièrement dans mon ciel, une éclipse sur mon cœur... Lorsque je lui ai avoué, je dirai « la bonne impression que j'avais eue de toi », elle m'a répondu spontanément et naïvement :

« Je me le suis fait l'autre nuit, il n'a pas eu le choix, je l'ai forcé, c'est un mec bien ! C'était bon ! J'aime. »

Elle n'a pas vu la peine que j'ai ressenti à cet instant précis et combien je l'ai enviée de choisir ses amants, d'en bénéficier et d'en changer à l'infini. À quoi pouvais-je donc prétendre, moi la paria, la rejetée, la moribonde, la squelettique !

Souviens-toi, nous avons discuté un long moment tous les deux, seuls abandonnés par elle et je t'ai aimé aussitôt en silence. Je ne t'intéressais pas, il y avait encore l'auréole de Sarah dans ton regard et elle n'avait pas encore renoncé à toi. Dans ma tête la situation se présentait ainsi, j'étais condamnée à cette habituelle discrétion ; j'ai souffert en silence. J'espérais tes visites, maudissais vos possibles rencontres amoureuses au fond d'une chambre, heureuse pour elle, envieuse de ce qu'elle partageait, jalouse de ce que tu lui accordais et que je n'avais jamais connu, moi, son aînée...

Au fil du temps et de mes hospitalisations, il y a eu ta présence permanente et chaleureuse chaque fois que tu étais disponible, ta main dans la mienne, tes paroles réconfortantes jusqu'à ce terrible jour où tu as renoncé  à elle devant moi .

Sarah, redevenue une copine, une fille comme les autres, ma sœur que je devais hypocritement consoler. Elle n'était plus ma rivale, pas elle... Une autre ? Je ne savais pas, je redoutais, j'étais triste, car moi...

Terrible ! Oui ! Terrible parce que sur le coup, j'étais partagée, peinée pour elle, heureuse de ce faible espoir pour moi dans mon terne horizon. Puis, elle a effleuré cette possibilité d'une autre femme dans ta vie, d'une possible future épouse dans ton lointain pays... Je n'avais bêtement jamais imaginé que tu puisses avoir dans ton existence, une fiancée, une promise. J'ai encaissé le coup, réconforté Sarah que je n'aurais jamais cru capable de pleurer pour un homme. J'étais abattue, je n'ai pas dormi de la nuit, je n'ai jamais versé autant de larmes sur mon oreiller, le seul confident qui daigne m'écouter sans rechigner...

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 11, 2016 ⏰

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Extrait CarlaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant