«Bonjour Mélanie. Entre, assieds-toi je t'en prie.»
Je tire le rebord de ma chaise et m'assois en face des deux dames. À gauche se trouve une petite femme d'un certain âge avec des cheveux noirs tout dégarnis comme ceux de ma mère. Sauf que ma mère a 51 ans, et que celle en face de moi doit se rapprocher de la soixantaine. De longues poches tombent sous ses yeux bleu dissimulés par une paire de lunettes noires. Est assise à côté d'elle une femme plus jeune, probablement dans la trentaine à en juger par ses habits et son visage. Elle a un carré châtain clair qui lui descend jusqu'aux épaules et elle a l'air inquiète. Je ne sais pas laquelle des deux je préfère. Celle qui m'écoute attentivement ou celle qui me fixe avec un air inquiet comme s'il allait se produire quelque chose de grave ?Probablement aucune.
«Tu sais pourquoi tu es ici aujourd'hui ? commence la jeune femme.
-À cause des problèmes de mon père ?
-Cela ne concerne pas seulement ton père, mais bien toute ta famille. Comme tu sais nous avons rencontré ta maman hier, ainsi que ton frère et ta sœur. Mais nous ne les avons pas interrogés car cela ne nous a pas paru nécessaire. En fait, c'est toi que nous voulions le plus rencontrer, Mélanie.
Les autres assistants sociaux que tu as déjà rencontrés nous ont beaucoup parlé des prouesses que tu as réalisées afin d'aider ta famille.
Tu sais, la plupart du temps les enfants en difficulté cherchent plus à se protéger eux en priorité. Mais pas toi. Tu es vraiment quelqu'un de précieux pour nous.
L'autre femme l'interrompt et poursuit :
-Parlez nous un peu de la situation à la maison. Est-ce qu'elle s'est arrangée depuis que votre père est parti?
Je remarque que la jeune femme me tutoie tandis que l'autre n'y arrive pas et continue à me vouvoyer.
-Non. Je dirais même que ça a empiré.
-Bon. Voudrais-tu développer un peu plus ? ajoute celle de droite. Cela nous permettrais de nous faire une idée par nous même, car vois-tu, jusqu'à présent nous n'avons eu que des témoignages. Mais c'est ton avis qui compte, Mélanie.»Ça recommence. Chaque fois, il faut que je leur raconte tout. Une fois j'ai été voir une assistante sociale pour demander de l'aide quand ça n'allait pas chez moi. J'avais attendue plus d'une heure et demi dans la salle d'attente pour parler à quelqu'un. Je ne devais pas être là mais il fallait que j'en parle. La situation avait dégénéré rapidement, et ma mère était totalement incapable de nous protéger tout les trois. De l'alcool, de mon père, mais surtout du mal qui nous rongeait tous. Je savais que si je n'allais pas là-bas, je deviendrais folle.
Une dame était venue me voir pour me faire passer. Elle ne m'a pas demandé ce que je voulais. Elle m'a faite m'asseoir et nous avons entamé la discussion comme ça:
«Bonjour. Je m'appelle Mélanie, j'ai 16 ans, et ma famille a besoin d'aide.»
Depuis, j'avais l'impression que toutes les assistantes sociales de la ville étaient au courant de mon histoire.
Nous déménageons souvent à causes des renvois incessants de mon père. L'assistante sociale à qui j'avais été parler était maintenant trop loin. Mais elle avait prévenue l'infirmière de mon lycée, déjà au courant de notre situation qui elle-même avait prévenue l'assistant social du lycée. M.Marvel avait pris rendez-vous avec moi pendant mes heures de cours, ce qui ne m'avait pas beaucoup plus. Car croyais moi, entre deux heures de français et une heure avec ce type, je préfère Beaudelaire.
Enfin cet homme avait envoyé ces deux dames chez moi, et c'est pourquoi j'étais là aujourd'hui, le jour de mon anniversaire.«Oh. Peut-être es-tu vexée que nous t'ayons convoqué aujourd'hui ? Tu as 17 ans, pas vrai? Nous sommes désolées, mais plus vite tu répondras, plus vite tu pourras rejoindre tes amis, repris la plus jeune.
Sur ces mots, je commence mon récit:
- Vous devait être au courant de ce qu'il s'est passé il y a quatre mois, quand mon frère m'a menacé avec un couteau?
-Oui, M.Marvel nous en a parlé. Continuez.
-Attends, demande la plus jeune à sa collègue. Dis moi Mélanie, quel âge à ton frère?
-Il a douze ans.J'ai l'impression d'avoir lâché une bombe. Un silence se créé, qui dure environ une minute, pendant laquelle les deux femmes se consultent du regard et notent tout ce qu'elles peuvent.