Elle ne connaît pas sa famille. Elle ne connaît pas son pays. Elle ne sait presque rien d'elle et pourtant, elle a un nom: Amaryllis. Elle ne possède qu'un objet, mais ne sait pas comment elle l'a obtenu. Il s'agit d'une boîte à musique en forme de cercle quasi parfait et possédant neuf trous de diverses formes avec une seule plus grande ouverture de forme octogonale en son centre. Jamais cette boîte n'avait eu de valeur, car elle ne présentait aucune pierre précieuse en ornement. Amaryllis l'avait donc seulement placée là où elle ne la verrait pas.
Une musique douce rappelant un piano se fit alors entendre; la boîte à musique n'avait pas été ouverte, mais pourtant elle envoyait dans les airs une musique comme magique. La mélodie sortait de la boîte à musique en se dispersant dans l'espace environnant avec une grâce et une élégance invisible. Amaryllis, perdue dans un recoin oublié de la grotte dans laquelle elle vivait, avait réussi à se fabriquer un chez-soi bien simple, mais qu'elle adorait parce que c'était maintenant le sien. La grotte avait été habitée par des loups gris, mais les braconniers du village près de la forêt les en avait chassés. Ce qui rendait cette maison spéciale était que la porte était faite de feuilles de lierre s'étirant devant l'entrée de la grotte. Amaryllis avait donc décidé de s'y installer. La grotte, se trouvant sous une petite crête escarpée, était très confortable et offrait le moyen de faire un feu grâce à un petit trou sur le haut. C'était l'endroit parfait, à la seule exception qu'il n'y avait pas de meubles ni rien. Il faut se rappeler qu'Amaryllis vivait dans une forêt, loin de la civilisation. Tout ce qu'elle savait du monde, c'était que les ducs étaient supérieurs aux paysans et que les marchands étaient inférieurs au Roi. Mais alors qu'elle avait à peine neuf ans, elle avait voulu voir des gens. Des vrais gens qui lui ressemblaient et qui ressentaient les émotions humaines les plus banales. Alors, un jour d'octobre, alors que les feuilles étaient emportées par le vent qui soufflait, elle alla s'aventurer dans le village et se promena dans ses venelles vides. Mais la pauvre petite n'était pas seule; des hommes ivres sortant d'une auberge la virent au loin et pensèrent que c'était le fantôme d'un démon. Ce soir-là, des torches furent allumées et des fourches empoignées. Tout le monde s'était réveillé pour aller attraper le fantôme et le renvoyer dans l'au-delà. Mais les gens ne réussirent pas à la capturer et elle s'était enfuie en pleurant.
Soudain, la musique cessa et les feuilles servant de porte s'ouvrirent sur une belle jeune fille aux longs cheveux blonds comme le blé et portant une robe simple de villageoise assortie à des souliers sûrement dérobés sur une corde à linge au hasard dans le village. Les menus larcins constituaient l'une des seules raisons pour lesquelles Amaryllis acceptait de se retrouver parmi les humains; la deuxième, c'était pour apprendre. D'ailleurs, elle avait appris à compter jusqu'à vingt-neuf en écoutant à la fenêtre de l'école du village. Elle aurait vraiment aimé apprendre à lire et à écrire, mais jamais elle n'aurait été acceptée à l'école parce qu'elle n'avait pas de parents qui puissent répondre d'elle.
- Il y a quelqu'un ?
Évidemment, personne ne répondit mais, instinctivement, elle se dirigea vers le fond de la grotte où se trouvait la boîte à musique. Comme attirée par ce lieu, elle souleva la couverture par dessus et la vit. Amaryllis savait qu'elle avait toujours été là, mais jamais elle ne l'avait vraiment observée comme en ce moment. Elle venait d'avoir quatorze ans et jamais elle n'avait trouvé quelque chose de spécial à cet objet. C'était comme si, depuis toujours, elle n'y avait vu qu'une simple boîte à musique dont elle ne se souciait pas vraiment, mais qui l'intriguait en même temps. Amaryllis la prit et l'ouvrit cette fois comme s'il aurait pu y avoir un trésor à l'intérieur.
- Que caches-tu ?
Rien de spécial. Juste neuf trous dans un matériau tout doux. Sans arriver à mettre le doigt dessus, Amaryllis ressentait pourtant qu'il manquait quelque chose d'important à ce petit objet rond. Quand la jeune fille leva les yeux vers le petit miroir au dos du couvercle, elle sut tout de suite ce qui n'allait pas. Elle n'avait pas de reflet. Même ses vêtements n'y étaient pas. Amaryllis ne s'était jamais vue dans un miroir de toute sa vie et voilà que tout ce qu'elle possédait pour savoir à quoi elle ressemblait ne servait à rien. Elle n'arrivait pas à comprendre que tout ce que la boîte à musique pouvait réfléchir, c'était sa grotte et la forêt, dehors. Elle essaya en la mettant sous la lumière, dans la pénombre, près de l'eau, dans un arbre, dans un cimetière, en l'ouvrant et la fermant sans arrêt, en la lançant, en la frappant, en la laissant dans un coin sans y toucher pendant toute une journée, en la faisant tourner, en la secouant, en la couvant. Rien n'y fit. Amaryllis resta près d'une journée au complet en prononçant ces mots avec l'espoir que son reflet apparaisse:
- Mais allez! Montre-moi qui je suis!
Mais cela ne fonctionnait pas. Un jour, elle finit par abandonner, car de toute façon cette boîte à musique n'avait aucune autre valeur à ses yeux que celle de justement pouvoir enfin voir ceux-ci. De toute façon, que lui apporterait le fait de savoir quelle était la couleur de ses prunelles? Elle savait que ses cheveux étaient blonds, pour les avoir déjà mis devant ses yeux, elle savait qu'elle avait la peau blanche, parce qu'elle observait ses mains le matin, à son réveil, elle savait que son nez était plutôt petit et légèrement pointu pour l'avoir déjà vu dans l'eau, elle savait que sa voix était douce et tendre pour l'avoir entendue résonner dans son crâne. Mais la couleur de ses yeux lui restait inconnue.
- Tu ne sers à rien! dit-elle en lançant la boîte à musique sur un arbre.
Le choc fit s'ouvrir la boîte et la mélodie en sortit comme par magie. Amaryllis resta là, sans bouger, devant cet arbre, en écoutant le joli son que produisait la boîte à musique. Au bout d'un moment, l'air devint plus frais, mais la musique continuait et Amaryllis restait là pour l'écouter. La musique ressemblait à celle d'un bal royal. C'était lent, mais rythmé, c'était apaisant, mais exaltant, c'était tout et rien à la fois. Elle pouvait presque imaginer les paroles qui colleraient aux notes, des paroles floues comme de l'encre qui se serait épandue près de ses oreilles. On aurait presque dit quelqu'un qui lui chuchotait à l'oreille des mots doux... Une musique qui semblait durer une éternité.
La boîte à musique finit de chanter sa dernière note quand Amaryllis se rendit compte qu'elle était restée allongée au beau milieu de la forêt en écoutant la magie jouée par la boîte. L'heure avait grandement avancé et la nuit allait bientôt tomber. Il était temps qu'elle aille dormir. Amaryllis se leva doucement, comme encore portée par la mélodie, prit la boîte à musique et retourna lentement vers sa grotte. Il faisait noir à l'intérieur, tellement noir qu'elle y entra en longeant les murs pour être sûre de ne pas se blesser. Comme chaque soir depuis quatorze ans, elle fit un feu et alla s'étendre dans les couvertures chaudes qu'elle avait volées. Elle resta étendue sur le dos pendant de nombreuses minutes, hantée par la mélodie de la boîte. Elle la fit jouer pendant longtemps, jusqu'à ce que ses yeux se ferment sur la réalité pour se rouvrir dans l'univers des rêves.
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Ennéa
Teen FictionAmaryllis ne sait presque rien d'elle si ce n'est que son nom. Type: livre pour jeune adolescent (1ère et 2e secondaire) Illustrations par Romane Fillion © "Désolée pour les dialogues qu'on ne peut pas distinguer du reste du texte. J'ai copié mon te...