Arthur, le retour

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Jour 2362

Cible : Arthur, mâle de type meurtrier, membre du comité anti-félins

Tentative(s) : 3 dont une tentative de félicide* sur mon auguste personne.

Nourris-moi, humaine.

C'est le matin, le Soleil brille, les oiseaux chantent dans les branches des arbres sans que je puisse les atteindre et les faire taire.

Nourris-moi, humaine.

Je miaule, je m'égosille pendant un moment et elle se lève enfin, me repoussant hors du lit sur lequel je m'étais installé.

« Deux minutes, Silvestre..., marmonne-t-elle encore endormie »

Très bien. Je vais me poster devant ma gamelle et j'attends. Cent vingt secondes plus tard, je la rappelle à l'ordre.

Humaine ! J'ai faim.

Je l'entends qui se lève en soupirant. Elle traîne des pieds jusqu'à la cuisine et me passe devant sans un regard. Outré, je la suis en miaulant.

Eh ! Je rêve ou tu m'as ignoré, vile humaine sans cœur !?

Et elle ose lever les yeux au ciel.

« Deux minutes, Silvestre. »

Je commence à croire qu'elle se fiche de moi. Je pose mon arrière-train délicat sur le carrelage glacé et la fixe. Elle prends son temps et se sert une tasse de café, noir comme mon humeur actuelle.

Cent dix-huit. Cent dix-neuf. Cent vingt.

Humaiiiiiiine !

Mon long miaulement d'agonie semble porter ses fruits et elle file chercher ma gamelle. Je remue la queue, retenant difficilement ma joie d'être enfin nourrit.

Mais la garce avait préparé sa vengeance. Elle remplie ma gamelle avec de l'eau du côté droit et les croquettes du côté gauche. L'ordre est très important, je suis très pointilleux pour ces choses-là. Puis elle va se planter devant l'emplacement de ma gamelle.

Il y a même un petit tapis avec des motifs de patounettes trop mignonnes pour que j'ai les fesses au chaud quand je mange. Répugnant.

Installé au pied de mon humaine, j'attends qu'elle dépose ma nourriture devant moi. Mais elle reste là à me regarder, son sourire d'homo sapiens machiavélique éclairant son visage.

Humaine ?

« Alors Silvestrounet ? On a faim ? »

Bien évidement, pauvre idiote !

« Il veut ses croquettes à sa mémère le chat-minou ? »

Es-tu obligée de prendre cette voix niaise ? Je ne suis pas débile.

« Qu'est ce que tu veux Silvestrounet ? »

Tu te répètes, humaine. Donnes moi ma nourriture ou je vais devoir employer la manière forte.

« Répètes après moi : "crooooqueeettes" »

Très bien, j'irais donc faire mes besoins sous ton lit.

Ce pénible manège dure cinq bonnes minutes pendant lesquelles mon humaine s'amuse à me faire languir, riant à chacun de mes miaulements alors que je constate avec déception que son Quotient Intellectuel baisse de plus en plus chaque jour.

Elle se décide enfin à me nourrir, me caressant le dos.

« Et voilà, Silvestre. Bon appétit. »

C'est pas trop tôt.

Sans doute très fière de son nouveau jeu, elle file se préparer et expliquer à son paternel qu'elle a réussit à communiquer avec moi avec un air victorieux, comme si elle avait réussit à obtenir un contact avec les extraterrestres.

Enfin, je grignote quelques croquettes -je fais attention à ma ligne, moi- et je vais me dorer au soleil.

C'est dur la vie d'un chat.

Je repense à mon dernier séjour dans l'antre du diable. Tout ça, c'est la faute du voisin aux lunettes rouges. S'il n'était pas venu déposer cette lettre d'amour, rien de tout cela ne serait arrivé. M'étalant sur le bord de la fenêtre, je médite ma vengeance.

On dit souvent que le meurtrier revient toujours sur les lieux de son crime. Et bien je vous laisse deviner qui ose pointer le bout de son nez en trompette dans ma propriété.

Le voisin aux lunettes rouges. Bingo.

Alors qu'il vient toquer à la porte, je sais déjà comment me venger. Mon humaine s'empresse d'aller lui ouvrir et discute avec lui avant de l'inviter à rentrer. Ils s'installent dans la cuisine et j'en profite pour filer dans la chambre de mon humaine.

Sautant sur la commode, j'arrive ensuite à ouvrir le tiroir avec ma patte. Je me saisis de sa plus jolie culotte en dentelle et je sors ni vu ni connu de l'antre de mon humaine.

Je rampe furtivement au sol et je me dirige vers ma cible. Le mâle en chaleur est en train de s'excuser pour l'accident de la veille, son sac à dos reposant à ses pieds. Par chance, il est entrouvert et je peux glisser le sous-vêtement à l'intérieur sans trop de difficulté. Je fais ensuite le tour de la table et me frotte avec amour aux pieds de mon humaine.

« Oh !, s'exclame-t-elle. Voilà Silvestre justement. »

Elle m'attrape et me pose sur ses genoux. Mon plan se déroule à la perfection.

« Voici Arthur. Il s'excuse de t'avoir percuté avec son vélo, il ne voulait pas te faire de mal. Il t'offre même ce joli collier en dédommagement ! N'est-il pas gentil ? »

Je fixe avec horreur le collier qui repose sur la table. Cet immondice de couleur rouge avec ces petits cœurs grotesques me donne des frissons. Diantre ! Il y a même une petite clochette au bout !

Le mâle se lève et tente une approche. Par réflexe et voyant une main trop près de mon humaine et de moi-même, je sors les griffes et laisse une marque sanguinolente sur le bras du mâle. Qui se met à couiner de douleur.

« On dirait que Silvestre est rancunier, note-t-il en tenant son bras endoloris. »

J'ai bonne mémoire, nuance. Et je n'aime pas les mâles humains.

Le lunetteux décide alors de partir. Il nous salue et récupère son sac. Et je ne vous dis pas la jouissance que me procure cette scène.

En se retournant, on remarque de suite la culotte pendant du sac. Et mon humaine réalise que ce bout de tissu lui appartient. Elle entre dans une rage folle, traitant le mâle de pervers et d'autres obscénités dont je vous fais grâce. Puis elle le banni à tout jamais de la maison.

Encore une journée ben remplie qui s'achève. Et une victoire pour Silvestre.


*Félicide (n.m.; du latin Felis, "chat" et cida "qui tue") : mot inventé par Silvestre et désignant purement et simplement le meurtre d'un chat.

Félin pour l'autre [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant