Ça fait 2 jours, 2 jours que je ne ressens plus rien. Plus aucune émotion, je suis ni triste ni heureuse, ni en colère ni effrayée. Pourtant il y a de quoi en ce moment. Malgré les vacances, ma vie reste mouvementée et changeante. Oui, c'est ça. Chaque jour tout change, je découvre de nouveaux problemes, de nouveaux mensonges. A un moment de ma vie, il y a un mois environ, je me disais que rien ne pourrait jamais aller plus mal. On ne me prendra plus jamais à ce genre d'espoirs, j'ai appris qu'on pouvait toujours tomber plus bas.
Quand j'ai ouvert ma fenêtre il y a deux jours après une longue nuit blanche, j'ai tout de suite eu la sensation intuitive que plus rien n'était comme avant. Je ne savais pas vraiment ce qui avait changé, sûrement parce que c'était trop évident pour que je m'en rende compte tout de suite. La veille, mon meilleur ami avait failli mettre fin à ses jours. Il voulait sauter de sa fenêtre, alors que je tentais de l'en empêcher au téléphone, en larmes et en pleine crise de panique que je cachais tant bien que mal. Évoquer ces souvenirs si tôt font très mal mais c'est déjà mieux que sous forme de flashback sanglant lorsque je ferme les yeux. J'ai une imagination débordante et aujourd'hui je m'en passerai bien.
Je l'ai appelé au départ parce qu'il m'avait envoyé 4 photos, 4 photos de sa peau entaillée par une lame. On croyais tous qu'il avait arrêté, ou du moins c'était mon cas. Je me méfiais bien entendu, parce que je nous connais, nous les junkies de la lame, on cache nos rechutes comme nos dents de lait sous l'oreiller. Sauf qu'il faut vraiment être persévérant et connaître la personne pour oser aller fouiller sous l'oreiller. Ses photos m'ont déchirée de l'intérieur et j'avais tellement mal que j'aurais aimé qu'un vétérinaire peu scrupuleux abrége mes souffrances sur le champ. Je l'ai appelée pour entendre sa voix, pour me convaincre qu'il était là avec moi, pour l'engueuler sans prendre compte des 1000 km qui nous séparent, pour le supplier d'arrêter de se faire du mal. On pourrait penser qu'en tant qu'accro je suis mal placée pour donner des conseils ou aider, mais je suis intimement convaincue du contraire. Ma position me permet justement de comprendre ce que les gens en ressentent ce qu'ils vivent, et j'ai une immense faculté à me mettre à la place des gens et à souffrir en même temps qu'eux, autant l'utiliser ! En tout cas c'est pas demain la veille que j'arrêterai d'essayer de l'arrêter, tout le monde sait que je suis une énorme forceuse...
Ce soir là il s'est même coupé avec moi au téléphone, il m'a montré la plaie ensuite. Sur la paume de la main, horizontalement entre le pouce et l'index. Le sang était encore chaud. Cette vision était tellement douloureuse que je ne pouvais même pas pleurer. J'étais au fond de mon lit, et j'avais seulement envie de disparaître , de ne plus jamais voir ça de ma vie. Avant de l'avoir vécu on ne peut pas imaginer ce que ça fait de voir la personne à qui on tient le plus au monde se tailler la peau, en sachant qu'on ne peut rien y faire. Je sais même pas comment exprimer cette douleur, pour qu'on puisse en ressentir un assez puissant écho... Comme si on injectait une toute petite dose létale dans notre sang et qu'elle prenait des jours pour nous tuer tout en oppressant nos veines, en asphyxiant notre cœur, en le poignardant d'un milliard de couteaux. Et encore ça c'est trop faible par rapport à la pratique.
On a parlé toute la soirée, et pendant des heures, j'avais plus envie de me couper, je n'avais plus besoin de ça pour exister. Et puis il y a eu un problème et j'ai du partir. Il a envoyé ses lettres de suicide aux personnes concernées, moi, son meilleur ami, sa copine, et sa mere. J'imagine que ce sont les gens qui comptent pour lui. J'ai l'impression d'être une sorte de mélange des trois parfois, mi meilleur ami mi copine mi mère...
Il est monté sur le toit adjacent à sa fenêtre, et j'ai tout fait pour le garder au téléphone. J'ai fini par lui dire que je l'aimais, que je pouvais pas le laisser partir, enfin le parfait numéro de la fille désespérée quoi. Il a essayé de parler à son meilleur pote, lequel ne répondait pas. Alors il a appelé sa copine. Elle a réussi à le faire rentrer et pour ça bravo à elle (non sérieux bravo je lui dois tout). J'ai continué à pleurer pendant une bonne heure, a 3 heures du matin, seule dans ma chambre à me dessiner sur les bras. C'est la seule alternative que j'ai trouvé à la scarification, il y a une petite sensation et les couleurs sont plus variées que seulement des lignes rouges. Et ça aussi d'une certaine façon je lui dois à lui. Paradoxalement, l'homme qui m'a mis là dedans, qui m'y a jetée sans aucune considération, c'est aussi l'homme qui me permet de tenir, c'est ma seule raison de vivre. Au fond cette année a été placée sous le signe des paradoxes, entre l'amour et la haine, la vie et la mort, la joie ou la dépression, on ne savait plus où donner de la tête.
Je n'ai pas dormi de la nuit, à chaque fois que le vide se faisait dans ma tête j'avais des visions, j'avais l'horrible impression que si je m'autorisais à fermer les yeux ce serait lui qui ne les rouvrirait plus jamais. Alors je n'ai pas dormi. Et le matin je me suis sentie différente. Je n'avais plus envie de rien, je ne ressentais plus rien. Je n'ai pas mangé non plus. Et là j'ai compris, Deb* était revenue. Depuis mai, on est tous les deux sujets à quelques maladies mentales. Dit comme ça on dirait que je le prend à la légère, mais croyez moi rien ne m'as jamais autant détruite que ça. L'auto mutilation, c'est un cercle vicieux. On souffre psychologiquement ou émotionnellement, alors on fait ça pour soulager la pression, pour contrôler la douleur nous même. Sauf qu'on sait que c'est stupide alors on se sent honteusement coupable. Et ça augmente la faible estime de soi et la souffrance psychologique. Alors on recommence, et ça devient automatique. Ensuite la dépression. On ne la présente plus même si elle est extrêmement mal connue, en effet les gens confondent tristesse et dépression. La deuxième est une maladie. On se sent vide, inutile, sans but et sans valeur, pas d'émotions ou alors elles sont amplifiées.... C'est - excusez moi pour l'expression - un bordel sans nom à l'intérieur de notre tête.
Pour finir,il est sujet aux insomnies mais les cachets ne lui font rien la plupart du temps. Et moi je souffre d'anxiété chronique. J'ai l'impression de me noyer dans une piscine calme, entouré de baigneurs qui me croient en pleine forme. J'ai souvent des crises de panique, je m'inquiète pour rien et tout me fait peur.... Pour le moindre sms ignoré je m'affole et préviens les autorités compétentes... J'ai peur de moi même mais je dois vivre avec.
Ça fait donc deux jours que je ne ressens plus rien.J'ai l'impression d'être morte, ça ne m'étonnerait pas de m'élever dans le ciel et d'entrer dans la lumière... Je crois que c'est parce que tout s'est arrêté. À cause du traumatisme, je n'ai même plus la douleur interieure constante qui agrémentait mes jours et mes nuits avant ce soir là. C'est comme si on m'avait délivré de mes souffrances, je me sens comme sur un petit nuage. Je ne parle plus, je ne dors plus ou un minimum, pareil pour la nourriture. Je n'ai juste plus envie. Je marche mais ne sens plus les pas, je ne vois pas le paysage défiler, les gens me fixent ou ne me remarquent même pas, comme si j'étais un fantôme seulement visible par quelques uns. J'ai envie de retrouver mes sensations, ce calme me paraît affreusement suspect. Et ma solution, c'est encore de me couper. Seulement deux ou trois entailles, pour ce que ça coûte... Ça ne fait pas mal, c'est agréable ! Le fait de se couper libère de l'endorphine, l'hormone de la douleur, de l'excitation, de l'orgasme, du plaisir. On confond seulement tout ça, mais du coup la douleur physique devient agréable. Les gens nous prennent pour des déséquilibrés, des gens stupides qui veulent attirer l'attention sur eux, ou se donner un style. Non, c'est une addiction, c'est une maladie, et ce n'est pas parce qu'on se coupe qu'on est suicidaire, pas parce qu'on souffre d'une dépression qu'on ne sourit jamais, pas parce qu'on est anorexique qu'on est maigre, et l'inverse est vrai aussi. Il faut arrêter de tirer des conclusions sur les gens quand on ne sait pas ce qu'ils traversent. Tout cela n'est qu'une partie de mon histoire, la reste n'est peut être pas digne d'intérêt.
Je voudrais qu'il ne meure jamais, qu'il guérisse et moi aussi, qu'on arrête de détruire les gens autour de nous, et de nous détruire nous mêmes. C'est de ma faute s'il a tracé la première ligne, je lui ai décrit la sensation et il a voulu le refaire -il avait déjà essayé en partie à cause de nous- . Il m'a imitée et suivi là dedans, et maintenant je me sens tellement coupable que je donnerais ma vie pour le sauver des griffes de Cat, Deb, Sue, Ana and co.
*Deb est le prénom donné à la dépression, comme Cat pour la scarification, Ana pour l'anorexie ou Sue pour le suicide par exemple. Donner des prénoms à nos Demons nous permet de nous rapprocher deux, et comme on dit "gardez vos amis près de vous, et vos ennemis encore plus près."
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Bon vous l'aurez compris -ou pas hé hé- cette histoire est vraie, j'ai gardé les prénoms secrets mais quelques uns d'entre vous les reconnaîtrons.
Je ne demande pas de messages de soutiens ou quoi, j'avais juste besoin d'exprimer ce que je ressentais a 3heures du matin, merci d'avoir lu.
Il y aura peut être une suite, je raconterai mes problèmes sous forme un peu romancée, mais tout sera toujours vrai.
A bientôt !
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Non-FictionL'absence de titre est volontaire. Attention, si vous êtes sensibles à des sujets graves tels que le suicide, l'auto mutilation, la dépression, ou autres joyeusetés dans le genre , ce n'est pas un texte pour vous ! Voilà la partie chiante est passé...