8. Contrat (1ère partie)

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La veille du rendez-vous, Marie était dans un état d'excitation frénétique, proche de l'irritation, assez pénible. Elle aurait voulu qu'Angel l'aidât à évacuer toutes ces tensions, mais il l'avait prévenue qu'il ne rentrerait pas de la nuit. Il devait achever une mission. Il lui avait promis qu'il serait de retour à dix heures du matin, pour l'entretien. Elle comptait sur lui.

Elle passa une nuit agitée, où des bouts de rêves se télescopaient les uns aux autres, pour former une sorte de kaléidoscope dérangeant. Elle se réveilla avec une désagréable impression de cerveau en ébullition, pas reposé. Elle accompagna Marc à l'école, vêtue d'un vieux jogging et chaussée de baskets bien plus confortables pour marcher que ses talons de femme d'affaires. De retour chez elle, elle prit sa douche, plus fraîche qu'à l'accoutumée, histoire de se calmer, elle enfila sa panoplie de professionnelle et se rendit à son bureau pour lire une dernière fois le dossier de présentation et le devis. Ce dernier était particulièrement élevé, même si l'on en retirait le poste « location du palais ». Les costumes, les figurants, par centaines, les lustres, l'orchestre, etc., tout cela finissait par représenter des sommes colossales. Ils n'avaient lésiné sur la dépense, mais d'une certaine façon, ils testeraient ainsi la motivation de Monsieur Malefoy.

Elle était en train d'allumer son ordinateur quand on sonna. L'écran de son smartphone indiquait neuf heures. Qui cela pouvait-il être ? Angel ? C'eût été étonnant, il avait plutôt l'habitude de pénétrer dans leur demeure sans passer par les portes et sans s'annoncer.

— Oui ? dit-elle dans l'interphone.

— Olivier.

Elle ouvrit, contrariée. Il avait une heure d'avance ! Elle allait devoir le recevoir sans Angel.

Tout en lui tendant la main, elle dit d'une manière qui se voulait aimable mais n'était pas sans reproches :

— Vous êtes en avance...

— Vraiment ? répondit-il en faisant son inévitable baisemain. N'avions-nous pas dit neuf heures ?

— J'avais noté dix heures.

— J'avais noté neuf heures.

Il parlait d'une voix doucereuse. Pour autant, il ne présentait pas ses excuses, ni ne proposait d'attendre ou de reporter le rendez-vous. Il semblait dire : « je suis là, œuvrons ».

— Mon mari n'est pas encore rentré, j'aurais voulu...

— Votre mari n'est pas encore rentré ? l'interrompit-il.

— Je veux dire, il n'est pas arrivé et je voulais qu'il vous présente le...

— Pas arrivé ou pas rentré, quelle différence faites-vous?

— Aucune... peu importe, je...

— Si, cela importe, la coupa-t-il une nouvelle fois. « Pas rentré » donne à penser qu'il n'est pas rentré de la nuit. Et je vous l'ai déjà dit : il est bien imprudent. Quand on a une femme telle que vous, on en prend soin, sinon d'autres pourraient vouloir le faire.

Il prononça ces dernières paroles avec un regard suffisamment appuyé pour que Marie n'eût guère de doutes sur le sens à y donner. Il se portait volontaire en cas de défaillance d'Angel. Et même plus, son propos comportait un blâme et une menace à peine déguisés : s'il délaissait son épouse, Angel aurait à en subir les conséquences et à en porter la responsabilité.

Marie n'avait aucune envie d'entrer dans ce genre de considérations avec Olivier de Malefoy. Aussi, même si quelques secondes plus tôt elle était sur le point de lui proposer d'attendre l'arrivée d'Angel autour d'un café, elle changea d'avis, préférant ramener la conversation dans un cours strictement professionnel.

— En attendant qu'il n'arrive, nous pouvons peut-être parcourir ensemble le dossier de présentation, suggéra-t-elle.

— Avec plaisir...

Elle le précéda dans le couloir qui menait à son bureau. Comme la fois précédente, tout en s'asseyant, elle l'invita à prendre place en lui indiquant d'un geste l'une des chaises. Il les bouda ostensiblement et choisit un fauteuil. Ce qui obligea Marie à se lever et, surtout, lui donna le pénible sentiment d'être contrainte de se plier au bon vouloir de son client. Elle fit le tour de son bureau, se saisit du dossier, et le lui tendit. Elle resta debout, comptant jouer de cet avantage sur lui : elle le toisait de toute sa hauteur. Il prit le document, fit mine de le soupeser et s'adressa à elle d'un air faussement exaspéré, celui-là même qu'eût employé un maître à l'égard de son valet debout et bien droit à ses côtés :

— Je n'ai pas très envie de me plonger dans toute cette paperasserie. Ne m'aviez-vous pas parlé d'une vidéo réalisée par votre mari ?

— Si, mais j'aurais...

— Montrez-la-moi.

Elle voulait dire qu'elle eût aimé que son mari la lui présentât, mais de toute évidence, il ne l'entendait pas ainsi. A contrecœur, elle obtempéra et retourna s'assoir derrière son bureau, devant son ordinateur. Elle ouvrit le dossier « OdM », cliqua sur la vidéo et s'apprêtait à tourner l'écran vers son interlocuteur quand celui-ci lui ordonna aimablement :

— Ne bougez pas, laissez ainsi.

Et il vint se placer derrière elle pour regarder le film. Au bout de quelques instants, prétextant la nécessité de le redémarrer à son début, il plaça un bras de chaque côté de Marie, en appui sur le bureau, et se saisit de la souris. Il fit glisser le curseur jusqu'au point de départ. La vidéo reprit. Il resta ainsi, dans cette position, penché et collé à elle, son visage légèrement en retrait du sien. Sa bouche frôlait l'oreille de Marie. Elle se sentit pétrifiée, piégée sous ces deux bras et sous ce souffle chaud qu'elle percevait. Elle réalisa qu'il se tenait à peu de choses près, comme dans son rêve : derrière elle, près de sa nuque qu'il pouvait baiser d'un instant à l'autre. Elle en frémit.

— Pendant que vous regardez la vidéo, je vais préparer un café, tenta-t-elle pour s'échapper.

— Ne bougez pas, lui intima-t-il de nouveau.

Le ton n'admettait pas de réplique possible. Marie s'immobilisa, ferrée dans une infernale tension.

Quand le mot fin apparut à l'écran, il murmura à l'oreille de Marie :

— Racontez-moi la suite...


Angel & Marie - T. 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant