Blanc

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"Blanc, rouge, jaune, bleu, blanc, rouge, jaune, bleu, blanc, rouge, jaune, bleu..."

À ce moment là de la lecture, vous devez sûrement vous imaginez une scène déjà-vue des bouquins où la répétition de mots, cette obstination à les répéter un à un continuellement, vous indique que la santé morale ou psychologique du protagoniste est au plus mal. Sûrement que vous visualisez l'image d'un homme ou d'une femme, dans une pièce sombre évidemment (parce que cela donne un côté mystérieux à la chose), se basculant d'avant en arrière, secouant d'avant en arrière (aussi) des cheveux humides et décoiffés avec ses doigts aux ongles crasseux... Cela m'amuse parce que ce décor, cette mise en situation n'est absolument pas celle de notre histoire.

À aucun instant il vous viendrait à l'idée qu'il s'agisse des pensées d'un enfant du plus jeune âge apprenant les couleurs aux côtés de son père, dans la salle claire et moderne que l'architecte appelle "salon'" mais que 'Pa' et Maman préfèrent appeler "salle de séjour" pour donner à cette pièce totalement éclairée par la lumière naturelle... un nom qui la valorise, peut-être ? Ça paraît 'caca' dit comme ça, mais tant que les couleurs - le 'banc', le jau.. jaaauuuneu, euh... le 'beu' et je-sais-plus-quoi sont visibles, cela convient.

Tout ce 'banc'... On a l'impression d'être à l'endroit où je suis né. Enfin je dis ça, mais bon, je ne voyais pas grand chose à ce moment là : je pleurais sans cesse pour vous l'avouer. Des cacas boudins m'ont arraché à Maman, m'ont foutu dans un 'roulette' et emmené dans une chambre à part avec d'autres inconnus où, et là c'était insupportable, je vous le dis que vous soyez prêt à vivre le même caca : tout le monde pleurait !
Bravo, bravo le début 'd'eggitence' - ça se prononce comme ça ? - boudin quoi. J'risque pas de l'oublier ça, vous allez voir !

Parlons en de cette eggitence d'ailleurs. Ça a mal commencé, je vous l'ai déjà dit. Je crois qu'au début j'étais désorienté, comme mes camarades. Mais plus j'avance, plus je me sens à mon aise dans ce jeu dont je découvre en même temps les règles. Il est vrai que je n'ai pas tout compris sur pourquoi je suis là et qu'est-ce que je dois faire, mais je me contente de marcher droit devant - façon de parler puisque je ne tiens pas deux minutes debout - en espérant tomber sur la prochaine case du plateau. Ce n'est pas chose aisée, car à cause de cette notion étrange qu'est le temps - faudra m'expliquer ça aussi - je ne peux pas percevoir ce qui se passera dans la suite du jeu. Le plateau est une feuille blanche qui se dessine sous mes pas, dont les contours et les couleurs deviennent plus explicites au fur et à mesure que j'assimile les règles du jeu. J'apprends donc les règles, et je les applique vaguement en espérant ne pas les oublier une fois avancé sur la prochaine case.

D'ailleurs, là il me manque un élément. Je vais appeler le maître de jeu pour lui dire que je n'ai pas compris.

"Pa"

Vu qu'il semble pas comprendre ce que je n'ai pas compris, je dois faire l'effort fastidieux de pointer du doigt le problème.

"Pa !
- Ah ben ça, c'est du rose..."

Heureusement qu'il a accentué sur le mot 'Roooeuh', je n'aurais pas compris sinon.

"Ouii c'est bien ! Bon tu veux jouer à quoi maintenant ? Oh, tu veux te lever ? D'accord. On fait la course ?
- Hi hi ah brrlll brrlll."

NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant