Thomasine a un pouvoir

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Plus qu'une classe sur le parvis devant l'école, la sienne.

Thomasine avait beau se dire qu'elle n'était plus un bébé, qu'elle rentrait au CP, les larmes lui piquaient les yeux.

Mais se séparer de Garance....

Les deux fillettes le savaient parfaitement. Garance partait pour une lointaine école privée. Thomasine, elle, irait à l'école du village voisin. Cela leur brisait le cœur.

Malgré son affection particulière pour ces deux enfants, la maîtresse ne leur avait pas permis de se mettre l'une à côté de l'autre. Elles étaient trop dissipées à son goût. Entre la longue route et les divers dangers potentiel jalonnant le chemin qui menait au cirque de la région, nul besoin de s'ajouter des difficultés supplémentaires aux portes des vacances. Une dernière sortie scolaire et ensuite elle pourrait enfin relâcher sa vigilance.

Alors que les enfants se mettent en rang, Thomasine et Garance, elles, ne se quittent pas des yeux, chacune sentant un peu plus son cœur se resserrer dans sa petite poitrine. Puis, avancer quand la maîtresse le demande et suivre le groupe le long du petit chemin qui rejoint la rue. Ce petit chemin jonché de cailloux tranchants Thomasine en avait déjà plein les sandales. Des sandalettes rose qui les laissaient entrer entre ses orteils à chaque pas. Elle essayait de ne pas y penser. Penser à cette douleur sous ses pieds si faible face à cette douleur dans sa poitrine quand Amaury lui adressa la parole.

- J'ai failli ne pas venir, lui dit-il en lui serrant la main. Papa a décidé de partir en vacances plus tôt cette année. Mais maman a dit que c'était important pour moi cette sortie au cirque. Penses-tu qu'il y aura des éléphants ?

Thomasine lui fit signe que « oui ». Elle ne pouvait sortir un mot. Elle pensait que cela ouvrirait les vannes ses pleurs seraient alors insurmontables et visibles de tous.

Ils quittèrent le petit chemin caillouteux pour rejoindre le trottoir. Rejoindre ce trottoir signifiait quitter l'école maternelle. Rentrer dans le monde des grands.

Les pieds de Thomasine étaient de plus en plus douloureux. Elle se retourna pour regarder une dernière fois le grand portail vert qui les avait accueillis pendant trois ans. Tout allait lui manquer : les murets jaunes de l'entrée, son petit chemin d'écolier, la grande cour, les danses improvisées avec Garance sur la butte qui dominait la cour de récréation...

Puis ses yeux se posèrent sur les longs cheveux noirs de Garance qui se balançaient au rythme de ses pas. Pour ne pas craquer, elle se concentra ses pieds déchirés par les cailloux coincés dans ses chaussures. Elle ne ralentit pas l'allure. Sans un mot, elle rejoignit le groupe et resserra un peu plus fort la main d'Amaury, comme si elle était une sorte de levier qui pouvait retenir ses larmes.

Les enfants discutaient tranquillement sur le bord du trottoir. Chacun imaginait ce qu'allait leur réserver cette sortie au cirque. Thomasine s'en fichait. Elle n'avait jamais aimé le cirque. Elle trouvait ça long et fatiguant et préférait voir les animaux en liberté que de les voir obligés de faire des trucs par les adultes. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la petite voiture verte passer le coin de la rue à une vitesse déraisonnable. La voiture freina brusquement à quelques mètres des enfants qui s'apprêtaient à traverser. Elle ne vit pas le feu passer au rouge et le petit bonhomme passer au vert. Elle ne vit pas que le conducteur s'était arrêté brusquement. Mais ses camarades s'étaient, eux, immobilisés de stupeur et Thomasine fut la seule qui ne tourna pas la tête vers la petite voiture qui redémarrait à la même vitesse dès que le feu passa au vert.

Durant tout ce temps une toute autre histoire se déroulait devant ses yeux. Amaury était allongé sur la chaussée, la tempe en sang les yeux fermés et ne répondant à personne.

Le médaillon de MousselineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant