La ligne 7

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Un arrêt puis tout repart. Mon reflet me fixe dans la vitre du métro. L'éclairage cru et froid est ma seule lumière. Pas de paysage à observer, seulement un démon ténébreux. Les freins s'actionnent. Je n'entends personne. Nullement étonnant à cette heure tardive. Le terminus approche, je le sais. La voix apaisante retentit :

" Prochain arrêt : La Courneuve - 8 mai 1945."

Je me prépare. Ma silhouette se lève. Mes prunelles vert céladon ne peuvent s'empêcher de scruter le couloir du métro. Le vide est sûrement mon unique compagnie. Je redoute cependant le moment où je sortirai. J'ai peur. J'ai peur de lui.

Le métro est paralysé, les portes coulissantes émettent un grincement avant de s'ouvrir à moi. Il est là. Mon regard évite le sien tant bien que mal tandis que mon cœur, lui, panique. Il tient sa sacoche comme à son habitude mais qui sait ce qui s'y cache ? J'accélère le pas. Je l'entends derrière moi. Soudain sa voix m'interpelle gravement. Je ne me retourne pas et n'y prête pas attention. Une main rude se pose brusquement sur mon épaule mais je la repousse en laissant échapper un hoquet de surprise. Son visage est détendu, bienveillant. C'est ce qu'il fait croire aux gens.

"Madame, calmez-vous, me susurre-t-il.

Il me tend un carnet. Mon carnet.

- Vous l'aviez oublié !"

On me secoue. Que se passe-t-il ? Les deux rideaux veloutés de mes yeux se lèvent. Je vois au-dessus de ma tête le plan de la ligne du métro : la longue et mystérieuse ligne 7. Je suis toujours dans son wagon. Je mets un temps avant de comprendre que je me suis assoupie sur mon siège quelques arrêts avant le terminus. On me secoue une nouvelle fois. Je dévisage celui qui m'a dérangée pendant mon sommeil. Désormais, sa face n'est plus aussi reposée que dans mon songe : elle est lasse, dure, renfrognée.

"Dégage de là ! On est arrivé !

C'est cette brutalité que je crains chez lui. Je lui lance un regard noir puis je cherche vainement mon carnet. Il n'est plus là.

- Allez ! J'ai pas qu'ça à faire, moi !" me crie-t-il dans les oreilles.

C'est mon bien le plus précieux. Où est-il, bon sang ?! Je lâche un long soupir avant de sortir du métro. Je suis persuadée qu'il me l'a dérobé. La station de La Courneuve est déserte. Une traînée de sang coule entre les rails. Mon Dieu ! La terreur s'empare de moi. Il a encore fait une victime ! Je sors de ma poche un couteau, - celui que je garde chaque soir en cas de danger -. Le train est toujours arrêté, il n'est pas encore parti. Le moment est venu. Je rebrousse chemin, j'ouvre les portes de la rame qui me font face. Je l'aperçois en train de somnoler sur le siège du conducteur. Je m'approche à pas de loup. La pointe de mon arme scintille comme une étoile. Elle ne tarde pas à pénétrer vivement dans sa gorge et à trancher sa jugulaire. Des effluves de sang aussi rouge qu'une rose s'écoulent. Un râle, un soubresaut et son corps devient inerte. Un filet écarlate s'échappe de sa bouche. Une rage me submerge. Un, deux, trois, quatre, cinq, six et sept coups. Ce liquide vermeil couvre mes mains, mes vêtements et mon visage par petites tâches. Je contemple mon œuvre. Sept trous transpercent son torse. Le chauffeur de la ligne 7 est mort. Si j'avais eu mon carnet, j'en aurais fait un croquis.

Une migraine interrompt subitement mes réflexions. Je maintiens mon crâne, les vertiges m'envahissent. Un souvenir revient en ma mémoire. Je me vois assise à côté d'un cadavre mutilé, le dessinant. Ce devait être encore un conducteur de métro. Étrangement, je n'ai pas l'impression de l'avoir vécu. Une seconde vision s'empare de moi. Toujours une scène similaire. La vérité me crache en pleine figure. D'autres souvenirs se bousculent. Je compte. Sept morts. Sept victimes. Seulement six dessins. Pourquoi ? Mes paupières s'alourdissent. La place est aux ténèbres.

"C'est qui ?

- Une tarée qui aurait assassiné le conducteur du métro de la ligne 7. Un passant l'a trouvée inconsciente à la station de La Courneuve vers sept heures du matin et nous a appelés. La scène était un vrai carnage. Elle affirme qu'elle serait également coupable des six autres meurtres.

- Une preuve pour les autres ?...

J'écoute en silence. Je n'arrive pas à croire que je les ai tués mais il valait mieux que je me dénonce. J'ai toujours cru que c'était lui le psychopathe. Je voulais me protéger mais finalement ma paranoïa s'est retournée contre moi. Néanmoins, j'en suis satisfaite.

- Jette-moi ça dans une cellule !"

J'ai prouvé que le chiffre 7 ne porte pas bonheur.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 16, 2016 ⏰

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