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La beauté est dans l'éphémère et l'éphémère dans toutes choses.

               « Arrivamo tra cinque minuti ».  Pressant le pas de sa course, une femme traversa le wagon tachant maladroitement de rassurer ses enfants piaillards qui ne tenaient plus en place d'ennui et en effet, nous arrivions. C'était un soir maussade dans la fin de l'automne. Une pluie torrentielle s'abattait sur le train dans lequel nous nous tenions. Le voyage m'avait semblé interminable et cette journée aussi longue que deux.

J'avais quitté mon chez moi aux aurores. Ah ! Mon chez moi ! Cela est bien grandement dit ! En réalité je ne souhaitais rien de plus au monde que de fuir cette sombre chambre close, toujours verrouillée à double tour. Sous l'emprise d'une grande tante excessivement possessive qui ne me laissait guère voir la lumière du jour, j'avais décidé de m'enfuir pour rejoindre un monde auquel j'avais toujours rêvé. Un monde que je découvrais dans les livres de la grande bibliothèque de mes parents disparus. C'est ainsi que le jour de mes dix-huit ans je fis mon humble valise et partis avec un malheureux capital que j'avais réussi à rassembler ces derniers quelques mois.

Où m'en allais-je ? A vrai dire je n'en savais absolument rien.

                Après deux bonnes heures à me perdre dans une ville que je ne pus connaître et qui pourtant demeurerait le lieu de ma naissance, j'atteignis enfin la gare. Je lus le panneau des départs et m'embarquai pour le premier train qui suivait, un train en partance pour Venise. Venise  ou ailleurs, cela ne m'importait guère. Je voulais seulement partir, partir

               J'avais donc embarqué illégalement et cela avait été une journée de cache-cache pour fuir les contrôleurs. Mais enfin, nous arrivions. Il me semblait que nous roulions sur une digue au beau milieu de la lagune. Mais à vrai dire, je ne savais pas trop, la nuit tombante et cette atmosphère pluvieuse et humide rendaient le paysage imperceptible. Le train s'arrêta et on annonça le terminus : « Stazione Santa Lucia, Venezia ». Je mis pied à terre. La foule se pressait, affolée par cette pluie incessante. Ils cherchaient tous à rejoindre un endroit sec, hôtel ou auberge. Seulement moi, je n'avais nulle part où aller. Je connaissais vaguement la ville par les livres et les légendes mais quasiment rien de sa géographie. Je me mis pourtant en route sous une pluie battante, espérant trouver un endroit pour passer la nuit. Je pris le premier pont que je vis et courus, ruelles après ruelles, quais après quais de canaux en canaux me retournant sans cesse pour repartir en arrière. Et cette pluie qui n'en finissait pas ! L'eau me montait jusqu'aux chevilles et mes habits ressemblaient plus à des loques trempées, sorte de serpillières chiffonnées qu'à autre chose. Morte de fatigue, je m'écroulai au devant des marches d'une église.

Un moine qui venait de finir son service m'interpella et me fis rentrer sous un porche. Avec mon italien approximatif je réussis à lui demander si il connaissait une adresse qui aurait éventuellement pu m'accueillir. Celui-ci – que je sentais légèrement empathique à mon égard –  m'indiqua une petite auberge de jeunesse monastique à seulement quelques pas d'ici. Me voyant complètement égarée, il décida de m'y accompagner. Ni lui ni moi ne parlions, seul le battement de l'eau sur les canaux et sur le dallage se faisait entendre, tous les habitants étaient rentré chez eux. On pouvait apercevoir les chats qui rentrent se blottir au creux des alcôves sous de petits balconnets et la lumière à travers les fenêtres des maisons. L'une d'entre elles appartenait à la fameuse auberge jusqu'à laquelle le moine m'avait conduite. Devant l'entrée,  il me dit au revoir et me quitta, et sans avoir eu le temps de le remercier, je le vis s'éloigner dans une bruine fine qui s'était substituée au déluge.

                    La petite pension était d'un extérieur très ordinaire, voire banal. Je frappai à la porte à l'aide du gros heurtoir métallique qu'y s'y trouvait. Au dessus se trouvait inscrit « Otello domus civica ». Une femme à chaperon blanc vint m'ouvrir et voyant l'état dans lequel je me trouvais, me fit entrer promptement. Je n'eus pas besoin de lui en dire beaucoup, elle compris bien vite la raison de ma présence et m'indiqua une chambre à l'étage en me tendant la clé. On se trouvait dans un ancien palais à en juger par la hauteur impressionnante des plafonds. Pourtant la décoration n'avait rien de royal, elle était très  sommaire  et le mobilier, relativement vieillot, sentait cette odeur poussiéreuse. J'empruntai l'escalier et aperçus la quantité faramineuse de tableaux et de bondieuseries qui y siégeaient. Ma chambre portait le numéro 18, elle était là bas, au fond du couloir. Je ne sais pourquoi, au moment d'ouvrir cette porte, je fus prise d'un moment dappréhension, la fatigue sans doute. J'insérai ma clé dans la serrure mais la porte s'ouvrit d'elle même. Au centre de la pièce se trouvaient deux lits et l'un d'eux apparemment était occupé. La douche était allumée. Cette nuit, je ne dormirais pas seule.

ImpromptuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant