Prologue

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-Viens donc avec nous, dit Josée à Thérèse sur un ton suppliant. Nous n'irons pas bien loin. De quoi as-tu peur ?

Thérèse se mordit la lèvre en tripotant un bout de sa robe.

-Allons, ajouta Eduardo. Tu n'es à Khornelle qu'une fois tous les trois ans, et lorsque tu viens, tu restes cloitrée chez toi. Quand donc apprendras-tu à profiter un peu de la vie ?

Thérèse secoua la tête.

-Ma mère ne sera jamais d'accord...
-Mais nous ne ferons rien de mal ! Insista Josée.

Inquiète, Thérèse jeta de furtifs coups d'œil autour d'elle, tout en secouant son épaisse chevelure rousse. Elle était sur le seuil de la maison et regarda à travers la fenêtre sa mère dans la cuisine, occupée dans ses recherches.

-Vous ne comprenez pas. Ma mère ne veut pas que j'aille loin de la maison, ne fut-ce que pour me rendre au marché qui se trouve à un jet de pierre d'ici. Je suis une personne assez maladroite, et elle ne veut pas prendre de risques. Et elle est si nerveuse!

Josée fit la moue en rongeant ses petits ongles. Eduardo fourra ses mains dans les poches de sa salopette bleue un peu crasseuse.

-Chaque fois, c'est nous qui devons venir chez toi. Toi par contre, tu n'es jamais venue chez nous, tu n'as jamais accepté de te promener avec nous, ne fut-ce qu'une fois. Nous sommes les seules personnes, Josée et moi, qui consentons à te rendre visite et à jouer avec toi. Ne peux-tu pas faire un petit sacrifice pour nous, au nom de l'amitié ? Nous ne trainerons pas ; promis, juré, craché.

Et il cracha. Thérèse regarda ses amis d'un air nonchalant, l'une maigre et élancée avec sa robe un peu courte qu'elle tirait à chaque fois vers le bas et l'autre chétif avec des incisives qui saillaient un peu, ce qui lui valait le surnom de ''Dents-de-lapin''.

Thérèse entra dans la maison et se glissa derrière sa mère en lui tirant le pan de sa robe.

-Thérèse ! Ne vois-tu donc pas que je travaille ? S'exclama la bonne femme en suspendant au-dessus de sa tête deux flacons remplis d'une substance bleuâtre.

-Mère, puis-je aller avec Josée et Eduardo au petit étang qui se trouve près de la vallée de Santa Louisa ?
-C'est hors de question ! s'écria-t-elle. Je t'ai formellement interdit de t'aventurer loin de la maison. Le monde extérieur est extrêmement cruel et égoïste. Je te l'ai toujours répété. Ai-je donc prêché dans le désert, Thérèse ?
-Non mère, mais nous ne ferons rien de mal, insista Thérèse. Ce sont mes amis.

Sa mère déposa précautionneusement les deux flacons sur la table qui était encombrée de flacons, de feuilles diverses, de mortiers.

Elle s'accroupit juste en face de sa fille et la prit par les mains, les yeux dans les yeux.

-Ecoute, Thérèse. Nous sommes étrangers à ce pays que nous ne connaissons d'ailleurs pas très bien. Nous repartons pour Quichnösch demain déjà. Evitons de nous attirer des ennuis. Je ne veux pas que tu ailles avec ces enfants- qui ne m'ont d'ailleurs jamais inspiré confiance- par mesure de sécurité et de prudence, compte tenu aussi de ta maladresse.

Thérèse rapporta la réponse négative- et plus ou moins attendue- de sa mère à ses amis.

-Si tu nous suis secrètement, certainement, elle ne s'en rendra pas compte, lui souffla Josée.
-Allons, tu n'es pas sérieuse... Tu voudrais que je vous suive à l'insu de ma mère ?

Eduardo lui prit les mains et les secoua de toutes ses forces.

-Quand vas-tu comprendre que nous ne trainerons pas, ma pauvre vieille ! Tu ne voudrais tout de même pas rater l'opportunité d'observer de près des poissons que tu n'as jamais vus auparavant ? Peut-etre qu'a ton retour ici dans trois ans, il n'y aura plus d'étang. Voudrais-tu donc laisser passer une occasion pareille qui s'offre gratuitement à toi ?

Hermeline Où les histoires vivent. Découvrez maintenant