CHAPITRE SEIZE.

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Elena.

— Comment est-ce que ton père a réagi ? Demandai-je, sous le choc.

Ethan, les yeux cernés et gonflés, venait de me révéler ce qu'il avait appris, une semaine auparavant. Lorsque nous étions allés boire un café tous les trois le week-end dernier, il ne l'avait pas mentionné, et pourtant c'était évident que quelque chose n'allait pas. J'avais mis son manque d'enthousiasme sur le compte du fait que sa mère était encore et toujours dans le coma, sans aucune amélioration . Mais, alors que notre professeur de maths, monsieur Smith, faisait cours à l'ensemble de la classe, Ethan s'était tourné vers moi, et m'avait lâché, sans préambule, que sa mère était enceinte.

Lucas était juste derrière nous, et avait tout entendu, mais il ne pipait mot. Que dire dans ces moments-là ?

— Il n'a même pas cillé. Il s'est contenté de se lever, de m'embrasser le front et d'aller se coucher. C'est tout. Il va avoir un troisième enfant, si ma mère ne...

Il déglutit difficilement, et continua :

— Si elle ne meurt pas d'ici sa naissance, et il s'est contenté d'aller.. dormir.

Sa voix trahissait son incompréhension, mais sa peur, aussi, profonde et paralysante. Il essayait de la camoufler, mais elle était bien là. En un élan de compassion, je pris la main froide et chétive d'Ethan dans les miennes. En les voyant trembler ainsi, j'avais du mal à croire que c'était ses doigts là qui faisaient des merveilles sur une feuille blanche.

— Est ce que le bébé va bien ? Je veux dire, l'accident ne l'a pas heurté ? Interrogea Lucas.

Ethan posa son regard sur lui, et il humecta ses lèvres avant de répondre :

— Non, d'après les radios, tout va bien. Elle en est déjà à son troisième mois de grossesse, et on n'a rien vu. Elle avait certes pris un peu de poids, mais je pensais que c'était parce qu'elle vieillissait.

— Ça va aller, assurai-je.

En réalité, je n'en savais rien. Qu'allait-il se passer si elle mourrait, au final ? Si elle laissait un bébé innocent à sa famille ? Son père ne s'en remettrait pas, et ce serait à Ethan de s'en occuper. Et il n'avait que dix-sept ans. Il était bien trop jeune pour s'occuper des couches et des pleurs tard dans la nuit.

Il me regarda, pendant juste un instant, et ses yeux bleu-gris me glacèrent. Ils trahissaient une fatigue si lasse, si profonde, quelque chose qu'il n'aurait jamais dû ressentir si tôt. Il ouvrit la bouche, mais fut coupé en plein élan par notre professeur :

— Ethan Jackson ! Serait-ce une plaisanterie ? Vous étiez en train de parler, n'est ce pas ?

Ses petits yeux méchants dardaient un regard si malsain sur mon meilleur ami qu'un frisson me parcourut le dos. Avec sa petite taille, et ses grosses lunettes de hibou, c'était le genre de professeur à prendre un malin plaisir à détruire psychologiquement ses élèves, sans aucune pitié. Je tremblais déjà d'avance pour Ethan.

— Excusez-moi, monsieur, je...

— Taisez-vous ! Aboya-t-il. Ce n'est pas parce que votre mère est à moitié morte que vous pouvez vous comporter de la sorte.

Mes yeux s'ouvrirent d'effroi face à ses paroles. J'aurais voulu intervenir, mais j'étais bien trop sous le choc.

— Comment osez-vous dire une telle chose ?

Les cheveux de Smith virevoltèrent lorsqu'il se tourna vers la nouvelle élève qui avait pris la parole depuis le début de l'année. Elle lançait un regard si assassin au professeur qu'il sembla ciller pendant un quart de seconde, avant de se reprendre immédiatement. Il s'avança vers elle comme un chat s'élance vers sa proie, un sourire pervers aux lèvres, alors que toute la classe retenait son souffle.

« Elle s'appelait Anna »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant