« Logan contemplait avec une stupeur médusée la bombe fixée sur son torse. Les secondes s'égrénaient avec des bips réguliers, brisant le silence retenu qui englobait les deux amis.
Sur leurs figures trempées qui faisaient office d'îles inondées, les volcans humides plantés sur leurs pâles territoires restaient entrouverts, n'osant dégager leur souffle chaud. Au nord, les lacs bleutés venaient de perdre toute trace de vivacité, et demeuraient immobiles, tandis qu'au centre, les cavernes rocheuses semblait patauger au milieu de leurs îles respectives, inondées par des amas de sueur.
Comme si le temps s'était arrêté.
Mais le minuteur semblait être le seul à faire exception à la règle ; inflexible, il continuait à émettre des sons aiguës pour montrer que le temps n'était pas encore essoufflé.
Son insolence ramena Julian à la réalité.
― 60 secondes ! s'exclama-t-il. Dans 60 secondes, on sera tous carbonisés ! Logan, réagis, mon vieux.
00:59.
59, comme le numéro de département du Nord.
Logan ne bronchait toujours pas, comme paralysé.00:58.
58, comme la découverte du système HLA en 1958 par [...] »
― La découverte du système HLA ? répète Xavier, perplexe.
Je sursaute à l'entente de ses propos, puis abats ma tête sur la copie afin de dissimuler mon mièvre travail. Mon cœur qui palpite, mes doigts qui s'efforcent de couvrir chacune des lettres, mon souffle qui se saccade, la vérité qui me rattrape... Il l'a vu. Il a lu mon récit.
Je ferme les yeux, apeurée à l'idée de devoir subir ses moqueries.
Devant ce silence désarmant, je me décide à lever la tête, et découvre avec horreur le visage de mon frère.
La casquette vissée à l'envers sur sa tête, des mèches brunes chatouillant son front plissé, mon grand frère est l'archétype parfait du pitre de l'école, ce type de personne qui aime se confondre avec l'obscurité vespérale en marchant sans vraiment savoir où aller d'une démarche flegmatique.
Le jeune homme coince sa sucette à la pomme entre ses dents, et enfonce ses mains calleuses dans ses poches de jean.
― Je t'avais dit de ne jamais regarder ce que j'écris ! Surtout quand c'est pour la rédac...
― Je suis sûr que tu ne sais même pas ce qu'est le système HLA, ajoute-t-il en voyant mon iPhone ouvert sur une page Wikipédia.
Mes pommettes de jeune fille prépubère se chauffent, bien trop intensément à mon goût. Je retourne l'objet rénégat qui dévoile la face arrière d'une coque Snoopy.
― Ce ne sont pas tes affaires, bougonné-je, loin de me laisser abattre.
― C'est quoi, la consigne ? « Il reste 60 secondes. À vous de raconter cette minute fatidique. »
Les balles qui jaillissent de mon regard suffisent à le dissuader d'en savoir davantage. Il penche sa tête sur le côté, et ses vertèbres cervicales se craquent sous l'effort.
60 secondes... un laps de temps trop court pour laisser place à assez d'action.
Il me jette un regard torve puis poursuit :
― L'idée de la bombe n'est pas très originale, vois-tu, d'autant plus que consacrer deux lignes à chaque secondes engendrera un effet soporifique sur le lecteur... et ça ce n'est pas bien, pas bien du tout. Et enfin, tu devrais privilégier les noms français plutôt qu'américains... n'es-tu pas fière de ton pays ? Les romans de notre époque manquent de Jean-Pierre, de François, d'Émile ! Tant de noms charmants pas assez valorisés.
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60 secondes
Short StoryÉbauches brouillonnes trônant sur le bureau, textes inachevés éparpillés sur le bois glacial dans une chambre trop étroite... La mèche blanche qu'on cale derrière l'oreille, le crayon qui s'agite, et puis le temps qui s'affole, le coeur qui bondit f...