Ma mère

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Un jour, vers la fin de notre année de 3e, j'ai cassé une assiette. Feli a accouru en me demandant si cela allait. Je lui ai répondu avec un sourire qu'il y avait plus de peur que de mal. Puis on a ri, pour évacuer. Quand ma mère est apparue à son tour, j'ai fait un petit sourire en m'excusant. C'était rien, après tout, juste une assiette cassée. Mais apparemment pas de son avis. Elle est partie dans une colère noire, comme nous n'avions jamais vu auparavant – surtout étant donné qu'elle ne s'était pas énervée depuis la mort de notre père, il y a sept ans... Elle m'a insulté, traité de petit con, de bon à rien, d'incapable, et de bien d'autres choses qui pourraient faire pleurer un enfant. Elle m'a comparé à Feli, encore, elle m'a dit que je devrais prendre exemple sur lui – mais c'est déjà ce que je fais ! – et que lui, comparé à moi, n'était pas une sous-merde qui ne savait rien faire, que lui, contrairement à moi, amenait la fierté et pas la honte sur notre famille, que lui, à l'opposé de moi, elle ne regrettait pas de l'avoir mis au monde. Et elle est sortie en claquant la porte et en continuant de vociférer.

On a entendu des portes claquer, celle de la chambre de ma mère qui venait de s'enfermer, et celle de la porte d'entrée signifiant que Nonno était rentré et avait sûrement tout entendu. Je pensais que oui puisqu'il s'est immédiatement dirigé vers la chambre de notre mère et que s'est ensuivit une longue dispute pendant laquelle je restais figé. Je ne cessais de ressasser ses mots. J'avais toujours fait de mon mieux. J'avais toujours tout fait pour qu'elle et mon frère se sentent le mieux possible, toujours à sourire même lorsque j'étais triste, pour soulager leur peine et tout prendre pour moi, et voilà comment elle me remerciait ? Voilà comment elle me remerciait ??? Alors je ne servais à rien ? J'avais fait tout ça en vain ? C'était tout ce que ça m'apportait d'avoir fait attention au bien-être des autres ? En passant même outre le mien ? Je n'avais même pas le droit à un peu de reconnaissance ? Juste des reproches ? Les larmes que j'avais retenues toute ma vie se mirent à couler en abondance. Pourtant je ne bougeais pas, je restais figé sur le sol. A côté de moi, Feli aussi était resté immobile. Il était tout aussi stupéfait que moi.

Quelques minutes plus tard – peut-être des heures – Nonno arriva dans la cuisine. « Je suis désolé Romano, » dit-il en me prenant dans ses bras. Mais je me dégageais et criais « Désolé de quoi ? Que je sois un incapable ? » avant de partir en courant. Puis je m'enfermais dans ma chambre en pleurant toutes les larmes de mon corps.

A partir de ce jour-là, je n'ai plus fait attention à rien d'autre que mon propre bonheur. C'est-à-dire pas grand-chose puisque je ne savais plus comment on faisait pour être heureux. Alors je me renfermais sur moi-même, refusant toute aide extérieure – qu'est-ce qu'ils auraient bien pu faire de toute façon à part répéter des mots aussi réconfortants qu'inutiles ? – et m'isolant du reste du monde. Je m'étais mis à détester mon frère et les gens en général, tous pourris qu'ils étaient. Mon langage est passé de irréprochable à bourré d'insultes. Je suis tombé en échec scolaire.

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