Première Partie

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"Tout le monde meurt un jour. Je vais juste le faire un peu plus tôt que les autres. Tu sais à quel point j'ai toujours aimé être en avance"
Le sourire hésitant sur le visage de la petite qui répond à celui, éclatant, de Dam. Son frère. Qui a toujours su la faire rire même quand tout allait mal. Qui continue même maintenant alors qu'il vient de recevoir cette affreuse nouvelle.
Tout a commencé avec des maux de tête. Rien de bien grave, une petite migraine, un Nurofen et la douleur disparaît. Puis ça s'empire. Impossible de faire passer la douleur avec un, deux, trois cachets d'antidouleurs. Le médecin qui recommande des radios. Puis le verdict, une sentence de mort.
"Un anévrisme... Inopérable... Mort probable dans quelques mois..."
Dam n'avait pas tout écouté, trop préoccupé par l'effondrement de sa mère, par sa sœur dont il devait s'occuper.
Lola qui ne comprenait pas tout mais qui savait que quelque chose de grave était en train de se produire, sa mère qui pleurait, son père qui tentait de la rassurer, pas le temps pour la petite. Et les mots rassurants de son frère.
"Tout le monde meurt un jour. Je vais juste le faire un peu plus tôt que les autres. Tu sais à quel point j'ai toujours aimé être en avance."
Traduction : "Tout va bien. Tout va très bien. Comme d'habitude dans le monde de Dam."
Retour à la maison dans un silence total. Seuls les sanglots étouffés de la mère le transperce mais on fait mine de ne rien entendre. À l'arrière, Lola et Dam qui se tiennent la main, la petite qui tente de puiser de la force dans celle de son frère, si calme et souriant face au désastre.
Il a toujours été bizarre, son frère. Peut-être était-ce prédestiné avec son nom, Crasy. Il suffisait de retourné le "s" et on obtenait Crazy, un mot anglais pour fou. Et ses parents en avaient rajouté avec son prénom, Dam. En le retournant, on obtenait Mad, un autre mot anglais pour fou.
Avec ce bagage, pas étonnant qu'on le prenne pour un excentrique, un fou. Quelqu'un de bizarre. Pas en phase avec les autres. Mais toujours souriant. Avec une telle culture générale qu'il pouvait parler de n'importe quel sujet sans problème. Et toujours une citation sur les lèvres, en accompagnement du sourire.
Son frère.
Une somme de choses impossible à résumer.
Son frère.
Qui allait mourir et qui restait calme et souriant, qui continuait à vouloir la rassurer, à s'occuper d'elle.
"Tu veux pas t'enfuir avec moi?"
Les mots qui brisent sa réflexion, la ramène au présent, dans sa chambre. Quoi?
Haussement d'épaules.
"C'est peut-être le dernier été de ma vie. Je veux qu'il soit... Mémorable."
Proposition folle, encore deux jours avant la fin des cours et puis le bac...
Elle s'interrompt avant d'avoir fini. Paroles en l'air. Le bac, qu'est-ce qu'il pourrait en faire? Et ses cours, quelle importance face au désastre en train d'arriver?
Sourire de la petite.
"Oui, je veux bien."
C'est comme ça que tout commence. Il suffit d'accepter la main que le destin vous tend et vous pouvez commencer à vivre.
Fuite le temps d'un été, hors du temps, hors du monde, loin des autres, juste elle et lui, lui et elle. Ensemble.
Départ tel quel, carte bleue dans la poche, 39,66 € dessus, chaussures aux pieds, le vêtement qu'on a sur le dos, les voilà dehors, prêts à tout et à rien, accueillant face à la vie.
Ils déambulent ouverts à la ville, aux opportunités.
"Ça te dirait de dévaliser une boulangerie?"
Acquiescement, pourquoi pas?
"Qu'est-ce que vous prendrez?"
"Tout. Je veux tout."
Étonnement chez la boulangère.
"Vous êtes sûr?"
"Oui. Tout à fait sûr."
Le grand sourire des deux enfants devant le pain, les viennoiseries, les bonbons... Plus rien sur la carte bleue, mais les mains pleines et un rêve de gamin accompli.
"C'est décidé. À partir de maintenant, on va réaliser tous nos rêves d'enfants."
Des miettes sur le menton, des sourires qui s'échangent, le portable qui vibre.
Vous avez reçu un versement de 45 € sur votre compte.
Le versement automatique, qui s'active tous les mois.
Dam qui sourit encore plus, attrape la main de Lola, l'entraîne en courant.
"Je parie que t'arrives pas à m'attraper!"
Et le voilà qui court devant, la petite qui suit, qui court de toutes ses forces et leurs rires qui s'entremêlent, se répondent. On ne fait pas attention aux passants, on court simplement. Enfin, Dam ralentit un peu, la petite se jette sur son dos, passe les bras autour de son cou, les jambes autour de sa taille, enfouit le nez dans son cou, ils sont ensemble, il faudrait que ce moment dure pour toujours.
Finalement, ses pieds retrouvent le sol, son frère l'entraîne, elle se laisse faire.
"On va prendre les escalators à l'envers!"
Oui, bien sûr, pourquoi pas.
Dans le centre commercial, ils montent tous les escalators qui descendent, descendent tous ceux qui montent.
Autour les gens normaux qui font du shopping les regardent, airs amusés, envieux, agacés, inquiets... Quelle importance? Plus rien n'importe désormais. Plus rien que de profiter, pendant ces quelques mois, de la vie, pleine, entière, sans arrêt.
Sortie du centre, la nuit qui commence à tomber.
"J'aimerai bien pouvoir la relever, qu'on puisse avoir plus de temps"
Les phrases étranges de Dam, qui fixe l'horizon, appuyé à la rambarde du pont.
On finit les achats de la boulangerie, et maintenant?
"On va suivre la caravane du tour de France."
La petite qui hésite, est-ce que c'est vraiment une bonne idée?, les parents qui vont s'inquiéter...
Dam balaie les arguments d'un haussement d'épaules. C'est juste pour deux mois, on reviendra après.
Et les voilà qui retirent tout l'argent de la carte bleue, vendent le portable à un revandeur dans le métro.
Sortie de Paris en marchant sur le bord du périph', direction le début de la première étape, le Mont-Saint-Michel. Ciel noir parsemé d'étoiles qu'on entraperçoit à peine à cause des lumières de la ville, les voitures toujours nombreuses malgré l'heure tardive, le bruit du moteur et des roues sur l'asphalte qui fait comme une berceuse.
Vision étrange pour les automobilistes qui y font attention, deux enfants étendus l'un contre l'autre, endormis.
Instant suspendu qu'elle voudrait voir durer pour toujours, les respirations qui se confondent, leur cœurs qui battent au même rythme.

AlwaysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant