Chapitre 6

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Je sortis de l'atelier en fixant mes pieds, incapable de garder la tête haute après ce qui venait de se passer. Je n'avais eu le temps que de jeter ma veste sur mes épaules, pas même de dire au revoir aux filles, avant que M. Marchand claque la porte derrière moi.

Je me retrouvai seule dans le froid. Le ciel était gris, il faisait humide. Quelques voitures étaient garées dans la rue, appartenant à des clientes qui devaient se trouver dans la boutique. Après plusieurs secondes d'hébétude totale, mes jambes se mirent à avancer d'elles-mêmes et je marchai dans une direction que j'ignorais.

J'étais renvoyée.

Moi qui, le matin même, étais décidée à obtenir une augmentation pour guérir ma mère, je me retrouvais à présent sans un sou, sans salaire pour les jours à venir. Quelle idiote ! Si je n'étais pas allée lui réclamer de l'argent, M. Marchand n'aurait pas été aussi énervé. Si j'avais été plus travailleuse et plus sérieuse, il ne m'aurait pas ri au nez comme il l'avait fait. Si j'avais moins rêvassé en montant le fil sur ma machine, je n'aurais pas tout enrayé.

Je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir trahie. Jade était en grande partie responsable de la panne de l'appareil. Je l'avais bloqué, certes, mais j'étais persuadée que nous aurions réussi à le remettre en route. Elle avait carrément cassé une pièce, rendant impossible toute réparation hormis par un professionnel qui pourrait la remplacer.

Et elle ne s'était pas dénoncée. Si elle avait avoué qu'elle était responsable, peut-être M. Marchand aurait-il accepté de me garder. Il ne la détestait pas autant que moi, elle n'aurait pas été renvoyée. Du moins, c'était ce que je pensais.

Je me rendis compte que ma colère me poussait à en vouloir à ma plus proche amie de ne pas avoir couru le risque de se retrouver renvoyée à ma place. Certes, ç'eut été un très beau geste d'amitié, mais personne n'était assez courageux pour tenter une folie pareille. Surtout par ces temps difficiles. En revanche, une vraie amie n'accuserait pas l'autre de trahison, mais se réjouirait qu'il ne lui soit rien arrivé. Cela ne m'avait pas empêchée de lui jeter un regard sombre avant de partir.

Par contre, j'avais de vraies raisons d'être en colère contre Audrey. C'était le rôle de deux sœurs de se soutenir l'une l'autre. Quand M. Marchand m'avait crié dessus, brutalisée et jetée dehors, elle n'avait pas bronché. Je n'avais même pas eu le temps de la croiser des yeux avant de quitter l'atelier. Elle l'aurait pourtant mérité, mon regard sombre.

Mes pas me menèrent jusqu'à la grande place où se trouvait en son centre l'édifice auquel était clouée, toutes les deux semaines, la liste des proscrits. Je pris en le voyant conscience que nous étions vendredi, le deuxième vendredi depuis ce fameux soir où j'avais trouvé Grégory chez nous. Avec les évènements de la veille, j'avais complètement oublié de venir lire les noms ce matin.

Quelques personnes traversaient encore la place pour venir voir la liste, des retardataires, comme moi. J'accélérai le pas, mon cœur battant la chamade. Je pensai immédiatement à Pierrick, qui avait été arrêté par la police. Etait-ce un motif pour être proscrit ? Je n'en avais pas la moindre idée.

J'atteignis le pied de l'édifice et parcourus très rapidement l'affiche des yeux. Mon frère n'y figurait pas, ni personne d'autre de ma connaissance. Comme à chaque fois, mais peut-être plus que d'habitude, je sentis le soulagement m'envahir. Un soulagement de courte durée, mais qui fut agréable tout de même.

Je repensai à Pierrick, dont l'accident de ma mère m'avait détournée. Je ne savais pas si Amélie ou Audrey lui avaient téléphoné, ou étaient allées le voir pour le prévenir. S'il n'était pas encore au courant, il ne savait pas la chance qu'il avait. Entre croire que sa famille allait bien et être au chaud dans une salle avec d'autres détenus, ou bien savoir sa mère à l'hôpital, avoir été renvoyée de son travail et errer dans la rue, j'avais vite fait mon choix.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant