Horizon

Le départ

Sur le chemin du retour, de la bibliothèque à chez moi, je réfléchis.

Ce trajet est court, mais lorsque je rentre dans l'appartement où nous vivons avec mes parents, ma décision est prise.

Dans la Cité, je me sens comme prisonnière. Seulement, si dans les contes,les princesses captives de leurs tours sont délivrées par de vaillants chevaliers, ce ne sera pas mon cas. La Cité ne recèle malheureusement aucun prince.

Si je veux m'en évader, ce sera par mes propres moyens. C'est mon vœu le plus cher : quitter la Cité.

Et,pour moi, le moment de le réaliser est venu.

Mes parents ne sont pas dans l'appartement : en tant qu'Enseignants,ils finissent leur travail tard.

J'ai du temps devant moi.

J'attrape mon ancien sac de cours, vide depuis plus d'un an à présent, et j'y fourre la lampe torche, la grande bouteille d'eau et l'épaisse couverture que je remise dans mon armoire en prévision de mon départ.

Je passe ensuite dans la cuisine, où je me saisis de pommes, de barres de céréales, de pain et d'un morceau de fromage, qui vont rapidement rejoindre tout le reste.

Je fonce dans la salle de bains et je prends des compresses, du désinfectant.

En relevant la tête, je croise mon regard bleu dans le relief du miroir : c'est bien le mien, et pourtant, c'est une fille différente de celle que j'étais hier qui me fait face désormais. Même cheveux de jais, raides, même carnation crémeuse, cependant quelque chose dans le regard de la fille du miroir a changé.

A présent, on y lit sa résolution. Ma résolution.

Ce soir, je dis adieu à ma petite vie routinière au sein de la Cité.Elle a été ma prison durant dix-sept ans. Mais toute prison a des failles. Je trouverai celles de la Cité, et je m'en évaderai. Ce soir....

En fait, j'ai déjà une idée de la faille qui pourrait me mener à la liberté. Pour l'instant, je la garde pour moi, encore incertaine.

Mais je ne vais pas tarder à en avoir le cœur net.

Je souris à mon reflet et la Kat-résolue du miroir me sourit en retour. Et, dans ce sourire, je déchiffre : « va, ne tarde plus : sois libre ! ».

Je fais volte-face, retourne dans le salon et contemple mon sac, où il reste encore une dernière place. Juste de la taille d'un livre. Je tourne la tête vers le canapé : les Archives du Temps d'Avant y sont posées, là où je les ai laissées ce matin avant de rejoindre Rosa et Lys à la bibliothèque. Malgré son titre, il n'est pas très imposant, car condensé au maximum.

Quelque soit l'endroit où me mènera mon évasion, ce sera à l'extérieur des Murs, donc il pourrait très bien me servir, quoiqu'il puisse m'attendre de l'Autre Côté.

Il prend naturellement sa place dans mon sac, dont je ferme la fermeture éclair.

Alors,je respire profondément. Certes, j'ai pris ma décision, mais l'énormité de l'acte que je m'apprête à accomplir me stupéfie encore. Pour moi, il est évident que je ne peux plus supporter la vie dans la Cité. Mais les autres s'en doutaient ils ?

Non,ils ne s'en doutaient pas. Aucun d'entre eux. Aujourd'hui, j'ai pris ma résolution, si vite que je me suis surprise moi-même.

Je pense à mes parents. Je ne peux pas les abandonner ainsi. Je ne peux pas non plus attendre leur retour pour leur expliquer : ils m'empêcheraient de partir.

Alors,j'avise le bloc note posé sur le buffet. Je l'ouvre, j'arrache les dernières listes de courses et je griffonne sur une feuille vierge.

« Cher Papa, chère Maman,

Je suis partie, mais ne vous en faites pas, je suis heureuse ainsi : la vie dans la Cité n'était pas faite pour moi.

Ne vous inquiétez pas, tout ira bien pour moi, et peut-être,reviendrais-je vous voir bientôt.

Je ne vous demande pas de comprendre, mais il fallait que je parte, ou la Cité et sa vie monotone m'aurait étouffée.

Je vous embrasse.

Au revoir.

Votre fille qui vous aime.

Kat »

En mettant le point final à ma lettre, je sens bien qu'une page de ma vie se tourne et une peur mêlée d'excitation me submerge. En revanche, je ne ressens aucun regret.

Désormais, j'ai fait mon choix.