VOYEUR

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« - Bon courage petit. »

L'homme envoya une grande claque sur l'épaule du noiraud.

« - Merci. »

Il balança son torchon sur son épaule grasse avant de quitter la pièce, sa démarche chaloupée et son odeur d'écume disparaissant derrière les rideaux rouges. Les lumières principales se désenclenchèrent, conservant la lueur des quelques lampes à pieds et celles des aquariums.

Des relents de nourriture asiatique chatouillaient désagréablement les narines de Jungkook et une épaisse fumée de cuisson flottait encore dans la pièce au plafond de plusieurs mètres de hauteur. Les décorations de lampions se balançaient au rythme d'un vent qui ne devrait pas être et un léger frisson cavala sur la peau porcelaine du jeune.

Jungkook aimait valser dans les différentes pièces avant de se mettre au travail. Il aimait cette ambiance encore moite, ce sentiment que les clients bruyants étaient encore là alors qu'il ne restait d'eux que l'empreinte des sièges et les morceaux de nourriture sur les tables.

Ainsi, comme à son habitude, il erra dans les cuisines sales et entre les tables rouges, glissa sur la moquette aux taches indélébiles puis sur le carrelage fissuré des toilettes. Il fredonnait quelques  airs de musiques oubliées, celles que son ancêtre lui avait apprises, ses mains ridées qui battaient le rythme lent et envoûtant. Le son de sa voix frappait les murs, gorgeant le restaurant de son timbre vibrant et mélodieux. 

Son chant mourut, quand au loin, une porte claqua dans le restaurant vide. Il quitta les sanitaires en retenant sa respiration, l'esprit embrumé par une peur sinueuse qui commençait à faire trembler ses mains. 

« - Il y a quelqu'un ? » 

Seul, le doux son de pas feutrés lui répondit.

La crainte étranglant sa gorge, il vacilla jusqu'au coeur du restaurant, là où les nappes rougeoyantes se mêlaient aux tâches de graisse, là où la singulière odeur et le gargouillement des aquariums écrasait son crâne dans un étau invisible. 

Les lanternes ne se balançaient plus, figées et silencieuses tandis que le restaurant retenait sa respiration, tourmenté, peureux, soumis.   

Et dans le vacarme sans son qui mordait sa gorge, il se remémorait ces paroles. 

« Qui suis-je Jungkook ? » 

Les premières heures qui avaient suivi sa seconde rencontre avec la chimère, Jungkook n'avait pas vraiment réalisé ce que ces mots cachaient.

Cette question avait beau eu le hanter, sifflante et perfide dans le creux de son oreille, ce n'était que tard dans la nuit nuageuse qu'il eut brusquement rouvert ses lourdes paupières. 

Qui suis-je Jungkook ? 

Qui suis-je Jungkook ? 

Qui suis-je Jungkook ?

Ce soir-là, il n'avait pu fermer de nouveau ses yeux. 

Dans l'effroi que peut-être, cet homme aussi étrange et merveilleux était-il, le connaissait. 

Connaissait tout de lui. 

De son nom à sa couleur préférée. De sa petite manie de sans cesse utiliser cette crème pour les mains, tentant en vain de soigner ces crevasses et troquer la fragrance acide à la douce odeur de miel. Peut-être s'amusait-il aussi de ses fantasmes et obsessions. Savait-il que Jungkook s'imaginait un corps chaud près de lui quand il s'endormait ? Même parfois quand il se douchait, même parfois quand il se touchait. Est-ce que ses mystérieux orbes lorgnaient ses faits et gestes à travers les pièces de son miteux appartement ? 

Ou avait-il seulement vu l'étiquette de son vêtement là où Jungkook ne pouvait s'empêcher d'inscrire son nom ? 

Il ne savait pas, il ne savait plus et il se demanda quelques secondes s'il n'avait pas imaginé ces douces et fines lèvres grimacer son prénom. 

Alors dans une terreur qu'il le tenaillera encore de nombreux jours, il s'était enfoncé davantage dans son matelas rabattant la couette au-dessus de sa tête. Ses frissons s'étaient précédés et suivis pendant un long moment avant que le sommeil ne le vainque, deux yeux sombres creusant des trous dans sa vulnérable carcasse.

Et finalement, il la retrouvait cette douloureuse sensation qui grignotait son estomac, là, immobile ou pétrifié au centre de la pièce rouge aux remugles d'estomac repus.

MEDUSA. ::taekookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant