Lui

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Quand il apprit sa mort, ce fut comme un coup violent qu'on lui assénait. Un rappel. Il ne l'avait jamais oubliée, ce n'était qu'une illusion. C'était elle, la femme de sa vie. Il l'avait voulue, désirée plus qu'aucune autre chose. Imaginer son corps inerte reposant dans un cercueil, elle pleine de vivacité... Elle... Sa femme, sa fille, rien ne le touchait. Il se fichait de tout. Il la voulait, elle, et pour tout au monde il aurait sacrifié sa vie pour la faire revivre. Mais c'était trop tard. Elle était morte. Il n'était désormais plus qu'un homme errant, sans valeur. Elle était sa raison de vivre, il lui aurait donné tout son être, son coeur, son sang. Jamais il n'avait connu une telle souffrance. Il voulait partir, s'en aller, fuir ! Mais où aller ? Tout lui semblait si froid, si morose, si noir. Il avait pensé des années qu'il ne l'aimait plus. Mais il se trompait. Il l'aimait, encore plus chaque jour, il grandissait et le rendait totalement dépendant à elle, même s'il le rejetait. On lui apporta une lettre d'elle, il fut surpris puis, les mains tremblantes, arracha l'enveloppe. Elle s'était tuée elle-même peu à peu, tirant toujours plus longuement sur ses cigarettes, et quand le médecin lui avait diagnostiqué un cancer, elle n'avait pas pleuré, ni même été triste. Elle avait simplement rédigé cette lettre. Il la lut :

"Ce n'est pas le cancer qui m'a tuée. Ni aucune de ces cigarettes. Non. C'est mon amour pour toi. Quand j'ai vu que tu ne pensais plus à moi, que tu t'étais fait une vie, sans moi, ma raison de vivre n'exista plus. Je ne fis que penser à cette femme, la jalousant, la détestant, en me demandant pourquoi tu l'aimais plus que moi. Cela m'obsédait, me torturait plus qu'aucune souffrance possible. Je ne croyais plus en rien. Ce cancer, il m'a fait vivre des mois de plus que je n'aurais pas vécus, car je percevais la mort comme une libération certaine. Je t'aimais éperdument, je me perdais. Et toi, tu m'avais oubliée. Tu ne méritais pas cet amour et pourtant je ne pouvais faire autrement. Je guettais chaque jour partout autour de moi, pour voir si tu n'étais, par un pur hasard, pas derrière moi, à me regarder, à m'attendre. Chaque fois ma déception était plus grande. Sache que si je suis aujourd'hui réduite à un simple corps, c'est à cause de toi. Mais je ne peux t'en vouloir, puisque je t'aime."

Ses larmes coulèrent, déferlant sur ses joues, coulant sur le sol. Amères, douloureuses, amoureuses. Il ne les essuya pas.

LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant