Chère mère, cher père...
Si vous êtes en train de lire cette lettre, c'est que je l'aurai achevée, et, si mes hypothèses sont exactes, il sera huit heures passées quand vous tomberez dessus. Moi, je serais déjà si loin d'ici...
Oui, je pars. Je n'ai pas l'intention de revenir, ou même de vous revoir un jour. « Mais pourquoi ? », vous demandez-vous en cette heure où il est déjà trop tard pour me rattraper. C'est si simple... Mais vous refusez d'accepter la vérité. Ou plutôt, vous refusez de la voir. Évidemment, comment votre fils unique, votre bébé, pourrait-il être différent de ce que vous aviez voulu ?
Mais avant de vous apprendre cette accablante vérité que vous vous obstinez à ignorer depuis bientôt trois ans, je veux que vous sachiez que je vous aime. Cependant, je ne peux rester à vos côtés plus longtemps. Car, qu'importent mes arguments, vous ferez toujours abstraction de cette part de moi. Et cela, je ne peux l'accepter.
Alors, chère mère, cher père, vous voici enfin confrontés à la réalité. Et cette fois, vous ne pourrez la nier : j'aime les hommes. Je suis un homo, un gay, une tapette, une pédale, un pédé, une horreur, un déchet... Tous les mots servant à désigner les gens de mon espèce. Pourtant, nous sommes des humains comme vous, sachez-le.
Mais il n'y a pas que ça. Je suis amoureux, et il l'est aussi. Vous n'aurez pas une belle-fille, mais un beau-fils. Que vous le vouliez ou non, nous nous dirons « oui » pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Il y a même des chances que vous soyiez un jour grands-parents, n'est-ce pas merveilleux ? Celui qui partagera ma vie sera simplement un garçon, tout comme moi. Ce problème-là ne concerne que moi, pas vous, alors je ne comprends pas pourquoi tu tapais du poing sur la table quand j'en parlais, père, ni pourquoi tu prenais tes drôles de médicaments, mère.
Il me vient l'envie de vous parler de lui. De ce merveilleux garçon qui a la chance d'avoir des parents qui l'ont protégé, qui l'ont soutenu, ce garçon qui m'a consolé quand vous ignoriez ce que je tentais de vous dire, quand vous parliez d'un futur mariage avec ma meilleure amie, vous savez, celle que je vous avais présentée, et que vous aviez cataloguée comme étant ma petite-amie pour vous rassurer ? Malheureusement, Anna ne sera pas celle qui partagera mon destin, ni celle qui portera mes enfants, elle sera juste témoin de mon immense bonheur aux côtés d'Aodren.
Il est le seul à avoir fait battre mon cœur au point de m'en faire perdre la raison, le seul à avoir trouvé les mots justes pour ne pas me blesser, et, au contraire, me rassurer. Il est le premier à m'avoir approché pour chercher à me comprendre, le premier à s'être intéressé à mes sentiments plus qu'à mes notes, le premier qui m'ait laissé donner mon opinion sans imposer la sienne, le premier qui ne m'ait jamais brusqué... Je vous l'ai déjà présenté, vous savez. En temps qu'ami. Car je savais que vous n'auriez pas les yeux en face des trous si je vous annonçais la vérité.
Chère mère, cher père, je ne vous reproche rien, vous savez. Cependant, peut-être, je dis bien peut-être auriez-vous pu réagir différemment. Je ne vous demandais pas grand-chose, vous savez. Juste un peu de tendresse, de compréhension, d'ouverture d'esprit...
Je n'ai que dix-sept ans. Cela vous paraît impossible, qu'un garçon de mon âge puisse s'en sortir seul. Mais je ne suis pas seul, vous savez. Aodren est là. Il a toujours été là pour moi, contrairement à vous... Au fond, peut-être que c'est cela que je vous reproche... Je ne vous détesterai jamais, au contraire, je vous aimerai toujours, et, qu'importe ce que vous direz, vous serez toujours mes parents. Vous pourrez bien faire comme si j'étais mort, raconter ma terrible nature à tout le voisinage, je m'en moque, je vous aimerai toujours. Je parle souvent de vous à Aodren. De ta douceur et de ta délicieuse tarte aux framboises, mère, et de ton humour et de ta bonne humeur contagieuse, père. Mais jamais, jamais je ne lui dis quelque chose de négatif sur vous. Je vous pardonne vos erreurs, et je vous aime, malgré ce que vous pouvez dire...
Mère, si parfois tu t'inquiètes pour moi, sache que je suis en sécurité, chez Aodren. Ses parents sont au courant (pour cette fuite), et, bien qu'ils la désapprouvent, ils me laissent vivre chez eux.
Père, si parfois l'envie de passer tes nerfs sur mère te vient, alors pense à tous ces bons moments que nous avons passés ensemble. Alors, sache que si je viens à apprendre que tu as fait du mal à mère, je ne pourrais te le pardonner, cette fois...
Mes chers parents, je trouve ça assez injuste, de ne pas pouvoir vivre librement mon homosexualité alors que les hétérosexuels peuvent vivre tranquillement. Vous savez, un jour, en me promenant dans la rue avec Aodren, il m'est venu la folle envie de lui tenir la main... Un groupe de garçons nous a vus, et ils nous ont insultés. Aodren nous a défendus et ils l'ont frappé. Nous avons été agressés parce qu'on se tenait la main, parce qu'on s'aimait... Un garçon et une fille passaient par là, eux aussi se tenaient la main, mais ils n'ont pas été agressés. À eux, on ne leur dit rien. Alors, pourquoi s'attaque-t-on à nous? Je rêve de vivre dans un monde idéal où l'injustice n'existerait pas... Sans doute suis-je un peu trop utopiste... Il n'empêche que ce serait tellement mieux que ce monde actuel...
Alors voilà, je pense avoir fait le tour de ce que je voulais vous dire... J'espère que nous nous reverrons un jour, mes chers parents...
Chère mère que j'ose enfin appeler Maman, et cher père, que je peux appeler Papa, je vous aime.
Au revoir,
Camil
VOUS LISEZ
Coming Out
Short StoryUn matin, des parents trouvent une lettre sur le lit de leur fils unique... Mais quelle est cette lettre ? Et où est passé leur fils ? Couverture par @byron_karma