[Apocryphe] (Improctobre 2016)

Texte 5

« Bon, pour être honnête, les discours, ça n'a jamais été vraiment mon fort. »

Du haut de son estrade de fortune, Fen se gratta le cuir chevelu avant de jeter un œil à son auditoire. Une grosse dizaine de personnes, tout au plus. Des gosses et des adultes. Des gens qu'elle avait rencontré au cours des ans : vieux amis ou nouvelles connaissances.

« Mais bon, j'imagine que c'est le genre de moment qui exige ne serait-ce que quelques mots, non ? Donc voilà. Je me retrouve comme une imbécile devant vous, à pas trop savoir quoi dire. »

Son manteau pesait lourdement sur ses épaules. Une sensation étrange d'étouffement l'étreignait, une angoisse existentielle, la peur subite de l'inconnu, mêlée à cette étrange excitation. Fen déglutit, serra les poings et haussa la voix :

« Je pourrais vous parler longuement de ma vie de paria, d'assassin, et puis même de cette période où j'ai bossé pour ces foutus militaires. Mais vous savez quoi ? Tout cela, c'est derrière moi. »

La main de nouveau dans les cheveux, Fen se gratta longuement, multipliant les hésitations. Elle sentait la sueur sur son front, sur son dos, tous ces regards qui se posaient sur elle.Elle se revoyait, sale gosse dans les rues de la Ville, regardant de loin cette large Tour de Fer qui resplendissait de mille feux dans la nuit.

« Pas que je m'en foute. Tous ces évènements ont construit ce que je suis aujourd'hui, » continua-t-elle avec un sourire gêné. « Ah, je me perds. Vous n'avez sûrement aucune idée d'où je veux en venir mais... »

Son regard parcourut la pièce. Au cœur de ce vieil entrepôt, le vent soufflait facilement à travers les interstices et en une telle journée, l'hiver était particulièrement vif. Immobiles, toutes les personnes présentes ne semblaient pas faire attention au froid particulièrement mordant. Fen aurait même juré avoir senti les lieux se réchauffer depuis qu'elle avait commencé à parler.

« Comment dire... Je... Je pense que chacun peut trouver ici un nouveau départ. Peut-être pas celui attendu parles autres, par ceux qui ne comprennent pas ce que nous traversons,ce que nous vivons... »

La louve posa les yeux sur plusieurs membres de sa meute. Une jeune personne aux cheveux blonds et à la robe délavée se tenait immobile, les yeux baissés et dissimulés sa frange. A ses côtés, un jeune homme aux atours salis et aux cheveux légèrement graisseux lança à Fen un regard à la fois étincelant et stupide.

« Vlad... Valentin... »

Plus loin, une femme aux cheveux noirs tournait le dos à l'ensemble du groupe. Sur sa veste , un crâne extrêmement stylisé avait presque été griffé à même le cuir et son pantalon était parcouru en plusieurs endroits de plusieurs chaînes et autres décorations métalliques.

« Alice... »

Au milieu de la foule, deux adolescents rigolaient tout en se donnant des coups de coude. L'un était plutôt malingre et portait sur son nez des lunettes bien trop grosses pour son visage, l'autre dissimulait ses cheveux sous un voile bleu nuit et semblait prendre énormément de plaisir à jouer avec une sorte de téléphone ou de console de jeux.

« Medhi, Amel, Luna, Sergio,... »

Elle cita un par un le nom de toutes les personnes présentes, et puis, dans un silence presque surnaturel, elle descendit de l'estrade sur laquelle elle s'était tenu. Un large sourire sur le visage, Fen coiffa rapidement ses cheveux d'une main,soupira, voulut dire un mot, se ravisa, murmura, inspira.

Et puis, finalement...

 « Enchantée de faire votre connaissance, jeme fais appeler Fen et j'espère bien que nous pourrons tous deveniramis. »