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     Les jours et les nuits s'enchaînèrent. Les semaines se transformèrent en mois, et pour finir, les mois en années.

À cette époque, j'étais une jeune fille si heureuse que souvent je l'oubliai. Mes espoirs et mes rêves grandissaient en mon esprit enfantin. Il m'était facile de me lever chaque matin avec le sourire aux lèvres, le regard pétillant de vitalité et le rire résonnant contre les pierres froides du château.

Malheureusement, toutes choses prennent fin. Tout s'estompe puis disparaît dans le murmure du silence complet.

Les étoiles s'éteignent dans l'obscurité de la nuit, les fleurs fanent sous le soleil brûlant. Et l'amour noircit avant de se refermer sur lui-même pour se consumer à l'image des lettres qu'on jette au feu.

Tout, finit un jour par mourir.

Je devais étudier sans relâche, apprendre chaque jour un peu plus. Assimiler le comportement d'une future reine, sa posture, sa grâce, son savoir sur l'histoire passée du royaume.

Mais aussi le fait qu'une fois mariée, mon esprit sera à jamais scellé. Prisonnière de ma pensée, ne pouvant contredir mon mari, ne pouvant exprimer mon avis. Une future reine devait se soumettre à la volonté du roi, et le soutenir malgré le fait qu'il soit en tort ou qu'il aille en opposition avec ses valeurs.

Des règles et une tradition avec lesquelles j'étais en complet désaccord.

Pourtant, parmi les événements à venir dont ma mère m'avait préparé, parmi mes obligations et mes restrictions, une journée m'était accordée. Et lors de cette journée, je n'étais plus la princesse. Je n'avais plus de responsabilités. Plus de devoirs.

J'avais le pouvoir de changer mon destin...

Le soleil levant, de ses rayons il y naissait une chaleur douce et réconfortante. Mes paupières s'entrouvrirent afin de laisser entrer dans mon âme endormie un filet de lumière. Je capturai une grande bouffée d'air et la rejetai dans un bâillement des plus lourds.

Puis, ayant pris conscience qu'aujourd'hui était la journée, je me redressai vivement. Geste brusque qui réveilla mon corps encore somnolant.

L'excitation habitait de son entièreté mon être. Je sentais mon ventre gargouiller, et mon imagination prête à organiser ma journée.

C'était avec rapidité et hâte que je m'étais débarbouillé, habillée et dirigée vers les cuisines, mon arc et mes flèches à la main.
Empruntant les escaliers, je dévalais les marches précipitamment. Une main relevant ma robe et l'autre collée au mur, me permettait de percevoir le glissement des pierres à travers mes doigts.

Lorsque j'arrivais aux cuisines, je saisis une pomme et me précipitai vers les écuries. Là-bas se trouvait Angus, mon destrier.

Enthousiasmée et euphorique, je sautai sur son dos et nous nous élancions alors hors du château.

Hors de cette prison.
Hors de cette sécurité.

La vitesse emportait mes cheveux, le vent frappait mon visage, mais qu'importait, j'étais libre.

Sous mes yeux émerveillés, les montagnes aux sommets enneigés et aux prairies vertes défilaient. Les nuages blancs comme les premiers flocons de neige nous survolaient. Et la mer aussi bleue que les plus profondes abysses nous souriait.

Après quelques minutes, nous arrivâmes à la lisière de la forêt. Tirant sur les reines, Angus s'arrêta le regard craintif.

Nous nous rendions souvent ici, mais jamais encore je n'avais pénétré au coeur de cette forêt. Pourtant, il avait l'air d'avoir compris qu'aujourd'hui était un jour nouveau.

Je descendais de son dos et l'attachais à une branche pour qu'il ne puisse pas fuir.

Avec prudence je m'avançais vers cette forêt. Tous mes sens étaient aux aguets. À chaque branche craquée, je sursautais. À chaque ombre animée, je tressaillais. Serrant mon arc un peu plus fort contre mon coeur.

Un pas. Deux pas. Je m'éloignais de la terre que j'avais toujours connue, pour une autre que je n'avais encore jamais vue.

Du moins, c'était que je pensais.

Les arbres ne me semblaient pas inconnus. Au contraire, ils me renvoyaient l'image d'entités bienveillamment veilleuses. Entités qui avaient patiemment attendu mon retour.

Leur feuillage clair ne cessait de bouger au rythme d'un vent calme et doux. Le soleil très présent au début, avait maintenant plus de mal à passer à travers les feuilles des arbres. Et à présent, l'obscurité m'entourait.

Plus j'avançais, plus l'air devenait chaud, m'étouffant presque. Quelques gouttes de sueur perlaient sur mon visage et dans mon coup.

Cela faisait longtemps que je marchais, à chaque pas mes pieds me faisaient souffrir, j'avais l'impression que mes jambes étaient devenues aussi lourdes que des épées de fer.

N'en pouvant plus, je décidais de m'assoir quelques instants. Prenant appui sur une roche épaisse, je remarquais que sur elle reposait une fine couche de mousse.

Puis tendant l'oreille, j'entendis faiblement un bruit similaire à celui que produisaient les cascades d'eau claire.

De l'eau, il fallait que je trouve cette cascade. Ma gorge était sèche et me démangeait, j'avais besoin de m'hydrater. Juste un peu.

Après une courte pause, je suivis le chemin que m'indiqua la mousse présente aux pieds des arbres et des roches. Ainsi que le bruit réconfortant de l'eau qui ruisselait de plus en plus fort.

J'y étais presque. L'air devenait moins pénible et plus supportable, tandis que l'obscurité s'éloignait peu à peu de moi.
Sautillant de joie, je me précipitais vers cet halo lumineux qui déboucha hors de la forêt. Devant moi se trouvait une sorte de gouffre fertile.

Un grand cercle ouvrait la terre telle une vaste prison. La végétation n'en était pourtant pas moins altérée, au contraire, elle resplendissait bien plus qu'au cœur de la forêt.

De longues tiges grimpaient aux parois rocheuses. Des fleurs dont je ne connaissais l'existence que par le biais des livres, ouvraient leurs pétales gigantesques. Et l'énorme filet d'eau qui recouvrait les pierres semblait achever sa course en se brisant en écume.

L'eau scintillait et reflétait l'atmosphère paisible qui m'entourait. Je m'avançais, sourire aux lèvres, jusqu'à ce que j'entende un rire.

La première chose que je connu de lui fut son rire. Je dois avouer que c'est assez paradoxal sachant qu'il transformera le mien en pleurs.








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CLANSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant