Un ultime regard

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          Assis à même le sol, ils se fixaient. Rien, pas même ce silence envoûtant, cette pénombre étouffante ni cette atmosphère déchirante ne pouvait briser ce contact visuel. Il la regardait, voyant dans ses yeux une tristesse sans nom qui hantait son être depuis quelques temps. Pourtant, ses iris lui parurent vides, démunies de tout sentiment, de tout éclat, ils ne pétillaient plus comme autrefois. Le temps était passé, lentement, difficilement, les jours s'étaient enchaînés inconsciemment. Ils avaient vécu dans un amour des plus parfaits, dans leur bulle passionnelle éloignée du monde, de la misère, et surtout de ce sentiment qui le noyait dans une noirceur incomparable, la peine. Ils s'étaient aimés avec ardeur, lascivité et ferveur. Mais, le temps qui passe causait des ravages, et l'amour s'était estompé, envolé, comme s'il n'eut jamais été autre qu'un rêve. A présent, plus rien ne les liait, mise à part ces joyeux souvenirs d'autrefois et ce passé commun qu'ils avaient construit à deux. Il observa ses yeux émeraudes, larmoyants, son cœur se serrant à la vue des larmes qui roulaient le long de ses joues, laissant un sillon humide après leur passage douloureux. 

Il l'avait aimée. Elle l'avait aimé. Cependant, comme il l'avait très bien appris, rien n'est éternel, pas même cet amour éperdu qu'il avait éprouvé pour elle quelques années plus tôt. Ils ne s'étaient pas échangé un mot depuis si longtemps qu'il se crut muet pendant un instant. Mais les paroles n'avaient de sens, de valeur, de goût dans une situation tel qu'elle. Leurs simples échanges optiques suffisaient à combler ce silence qui les possédait, à transmettre des émotions. Seuls leurs yeux conservaient une signification réelle. Ils étaient la dernière chose qui les rattachait l'un à l'autre, à la vie, au monde qui les entourait et qui avait longuement était effacé par leur amour. Il conserva son regard ancré dans celui de la femme qu'il avait tant aimé un jour. C'était fini, il le savait. Une mélancolie indésirable régnait sur leur appartement, cet abri qui avait gardé leur relation au chaud durant tout ce temps. Il la vit détourner le regard vers la fenêtre, pour aussitôt le reposer sur lui. Il lisait dans ses pupilles qu'elle souffrait autant que lui, et qu'il était inutile de se battre davantage. Il ne s'aimait plus. Plus rien ne pouvait raviver la flamme qui les animait tous deux durant leurs années d'amour. Son cœur tambourinait violemment, sa tête tournait, mais il ne pouvait détacher son regard d'elle. Il voulait s'imprégner de son image, de sa présence, de chaque trait fin et unique de son visage angélique. Il savait qu'il ne la reverrait plus, et il se refusait de l'effacer intégralement de sa mémoire. Elle représentait une part de sa vie, un être qui lui restera malgré tout cher et qu'il ne pourra plus jamais aimer. 

Il l'observa se lever difficilement, se fixant toujours avec cette même peine, ce désespoir que plus rien ne pouvait éloigner de leur cœur meurtri. Elle ouvrit la bouche, comme pour ajouter quelque chose, mais la referma aussitôt, les mots lui manquant. Il n'y avait de paroles potables, de termes nécessaires. Rien ne pouvait décrire leur ressenti actuel, rien, sauf leurs yeux dépités et emplis de regrets. Leur amour aurait pu tourner autrement, mais la vie avait fait le choix de les séparer. Elle resta quelques instants à le fixer, avant de s'avancer vers la porte d'entrée, sa valise à la main. Dans un dernier regard triste et déchirant, elle lui sourit, comme pour s'excuser même si elle n'était fautive du malheur qui les touchait. Puis, elle détourna les yeux et quitta les lieux, ne regardant pas une fois derrière elle. Elle faisait à présent partie de son passé le plus lointain. Ce n'est qu'une fois le soir venu qu'il réalisa. Elle était partie, pour toujours, il ne la reverra jamais. La seule image qu'il garda d'elle fut ses yeux émeraudes qu'il avait tant de fois complimentés. Il avait longtemps souhaité s'y noyer. Lorsque leurs regards se croisaient, lorsqu'elle lui souriait, lorsqu'ils s'aimaient... C'était ses yeux qui lui parlaient. L'ultime vision de ces iris qu'il entretenait fut celle de ces pupilles posées sur lui dans un échange douloureux, triste, meurtri. Il voulut hurler en songeant à cette image déchirante de la femme qu'il aimait. A cet instant où elle quitta leur appartement, il avait senti quelque chose se briser en lui. Ce dernier regard qu'elle lui avait lancé lui avait procuré une sensation longuement oubliée. L'amour. Une larme roula. Il l'aimait toujours et à jamais. Il n'aurait pas dû la regarder s'échapper, les conséquences d'un simple échange visuel peuvent être multiples. Et celui-ci ne fit pas exception. 

Sans s'en rendre réellement compte, il était à nouveau tombé amoureux d'elle. Mais elle était déjà loin.


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