Au Pied du Mur

15 AOÛT 1961

Jour de congé aujourd'hui.  Je n'ai pas pu fermer l'œil de la nuit. Donc je m'occupe tant bien que mal ; je lis, j'écris... Je reste cloîtré dans l'appartement, qui était aussi celui de Thomas pour éviter de croiser l'horrible Mur. À la pensée de Thomas, ma gorge se serre. C'est lui qui m'a aidé dès mon arrivée à Berlin. C'est avec le cœur gros que je prends un papier et un stylo mais mon esprit troublé ne sait qu'écrire sur cette feuille blanche immaculée. Plusieurs longues minutes s'écoulent, jusqu'à ce que je prenne mon courage à deux mains, et que je sorte, en tenue de civil, sous la pluie. Les gens que je rencontre sont renfermés sur eux mêmes. Ils baissent les yeux, et enfoncent un peu plus leur chapeau sur leur tête...  Je marche dans ce décor désolant en me rapprochant des frontières RDA/RFA. À ce stade de ma progression dans les rues berlinoises, le spectacle devient de plus en plus abominable. Il n'y a plus d'enfants joyeux et insouciants qui jouaient il n'y a à peine une semaine dans les allées pavées ; les fenêtres sont closes et les étalages des commerçants ont disparu. Plus aucune voiture civile ne circule devant moi. Les rues sont désertes, et pas un chat oserait s'y promener. C'est alors qu'apparaît à l'horizon le monstre tant redouté. Encore quelques secondes, et j'y suis. Je contemple la chose qui provoque tant de peur et de terreur au sein d'une ville qui était si heureuse auparavant. Je promène mon regard le long duMur jusqu'à tomber sur des barbelés à même le sol. Je m'y dirige, et regarde à l'opposé, ayant entendu un bruit de pas sur les pavés mouillés. Un homme court dans ma direction. Après quelques instants, j'aperçois mieux de qui il s'agit : un soldat allemand se dirige vers le Mur. À quelques mètres des barbelés, il pose son fusil au sol et saute par dessus les fils de fer. Mais... Est-ce possible?! Un militaire ? Sauter par dessus les barbelés malgré la surveillance permanente du passage ? Les soldats sur le Mur paniquent. Des coups de feux retentissent de l'autre côté. Je prends alors mes jambes à mon cou et m'enfui. Arrivé à l'appartement, je m'effondre sur une chaise... Un militaire a sauté au-dessus du Mur, juste devant moi ?.... Impossible....