Chapitre 10

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Vendredi 16 février – Nute

C'était à mon tour. J'avais été surpris de trouver Noé qui m'interrogeait, mais en même temps, je m'y attendais, comme on m'avait prévenu de cette manière de faire les choses. Il m'avait paru si à l'aise avec mes hommes que je n'avais pas du tout prévu qu'il était possible qu'il fût aussi simple d'exercer son métier avec autant de comédie. J'avais remarqué qu'il n'était pas très rassuré en face d'Eleanor –je ne l'avais moi-même pas été quand je l'avais rencontrée- mais il n'avait quasiment rien laissé sortir. J'étais étonné, mais en même temps légèrement confus. Je ne savais plus du tout comment interpréter la manière dont Noé se comportait. Il semblait tellement souriant, avec qui que ce soit !

Il arriva vers moi, se reposa sur son tabouret comme un félin, étirant ses bras et ses jambes avant de reprendre ses feuilles posées sur la petite table à côté de lui, et de chercher dedans les questions qui m'étaient attribuées. Car j'avais compris qu'il s'agissait de l'interrogatoire qu'il y avait écrit dessus. Il ne notait rien, comme tout était filmé, et je me demandais désormais comment ils pouvaient faire des montages à partir de tout ce que nous faisions. Je savais que les micros qu'ils nous adressaient servaient au son, que les caméras bougeaient pour toujours capter le meilleur angle, et qu'il fallait toujours la fixer avec attention.

-Ça commence !

Les détails m'apparaissaient comme tous naturels, aux oreilles, comme si j'avais connu cette ambiance depuis le début de ma vie. Je n'avais jamais vu un studio comme celui-ci, pourtant, avant la semaine précédente, et c'était la première fois que je me produisais devant une caméra. Car bien sûr, ils n'avaient pas pris nos missions en vidéo ! Ils s'étaient concentrés, m'avait-on dit, sur les entrainements militaires, et quelques scénettes de mission. C'était surtout de la mise en scène, dans ce cas-là.

-Comment considérez-vous votre groupe ?

-Comment je considère mon groupe ? A vrai dire... C'est ma deuxième famille. Tous ceux qui font les missions avec moi sont des frères, à mes yeux, des personnes à protéger. Et j'en ai déjà perdu assez comme cela, déclarai-je d'un air triste, et Noé reconnut aussitôt que je ne parlais pas que de mes anciens soldats : je le sus à la manière dont il me regarda. Ce sont ceux qui comptent le plus pour moi, et je les vois beaucoup plus que ma véritable famille. Ceci dit, c'est une sacrée responsabilité de gérer un groupe.

J'étais légèrement angoissé, désormais que je devais fixer avec insistance cette caméra qui ne bougeait pas et qui était à droite de Noé. J'avais envie et besoin de le regarder lui, car je détestai par-dessus tout parler à quelqu'un sans regarder le quelqu'un en question.

-Y a-t-il eu des coups durs depuis le début de votre carrière ?

Je réfléchis un instant, à savoir si c'était judicieux que je parle de mon frère et de toute l'histoire qui avait suivi le meurtre de ma belle-sœur. Mais finalement je déclarai :

-Bien sûr, comme beaucoup d'autres dans mon cas. J'ai perdu des hommes, plus qu'un, que ce soit à l'armée ou dans la CIA. Ma famille a payé le prix de mon engagement, et je ne me le pardonne pas. A vrai dire, il y a beaucoup de choses difficiles à avaler, dans ce métier, et je ne saurais jamais si demain, une nouvelle ne surviendra pas. C'est la dure loi du militarisme, je dirais.

-Est-ce que la famille est-t-elle un inconvénient dans le domaine militaire ?

-Dans le domaine militaire ? Tout dépend de qui. Certains deviennent tellement entichés d'une femme qu'ils ne sont plus productifs, et on doit les renvoyer ou les remettre sur pied. D'autres s'en foutent, et certains, encore, tentent de mêler les deux. Avoir un enfant peut être handicapant, en effet, mais ça dépend vraiment des cas. Si on a un bon compagnon qui peut s'occuper des jeunes en son absence, tout est bien plus simple. Beaucoup démissionnent après avoir eu un premier enfant.

Dangereusement Engagés [Boy x Boy]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant