Chapitre 3 - Le Miroir des Illusions

92 13 2
                                    

Le vent glacial fouette mon visage alors que je remonte la rue en ruines. Ma maison, ou du moins ce qu'il en reste, se dresse là, sombre et silencieuse comme un fantôme. L'incendie a laissé ses marques : la façade noircie, les fenêtres béantes, mais malgré tout, certaines pièces semblent avoir résisté. Parmi elles, le bureau de mon père.

Je franchis la porte branlante, le cœur serré. L'odeur de suie et de cendres flotte encore dans l'air, mêlée à des relents de papier brûlé. J'avance lentement, mes pas soulevant un nuage de poussière à chaque mouvement. Sur l'étagère en bois massif, miraculeusement épargnée, mes yeux tombent sur un livre familier : Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll. Ce livre, c'était le rituel du soir avec mon père. Sa voix résonne dans ma tête, douce et grave, lorsqu'il lisait le passage du Chapelier fou.

Une boule se forme dans ma gorge. Je tends la main et effleure la couverture. Les souvenirs affluent : les soirées d'hiver sous la lumière tamisée de la lampe, mes rires étouffés sous la couette, sa main rassurante sur mon front. Une larme roule sur ma joue, chaude et salée, contrastant avec l'air froid de la maison. Je prends le livre avec une détermination nouvelle. Ce souvenir-là, je refuse de le laisser sombrer dans l'oubli.

Mais alors que je retire le livre de son emplacement, un déclic résonne. Je sursaute et recule d'un pas, mon cœur battant à tout rompre. Derrière l'étagère, un mécanisme se met en marche, révélant un compartiment secret. Je découvre un coffre fort, une serrure ornée d'un délicat motif en forme de clé.

Un frisson me parcourt. Mon père m'avait toujours interdit de toucher à sa bibliothèque. Maintenant, je comprends pourquoi.

Avec des mains tremblantes, je saisis le pendentif autour de mon cou. Cette clé, un cadeau de mon père pour mes dix ans, avait toujours été pour moi un simple bijou. Je l'insère dans la serrure et la tourne lentement. Un clic distinct brise le silence. La porte du coffre s'ouvre dans un grincement.

L'intérieur est simple, presque décevant : un objet enroulé dans un tissu de velours. Je l'attrape délicatement. C'est un monocle, étrange et brillant, dont la surface reflète la lumière comme un miroir. Accroché à son côté, un petit mot écrit de la main de mon père :

"Avec le miroir des illusions, tu verras certaines choses du monde réel avec d'autres points de vue."

Je déglutis, une vague d'excitation et de nervosité m'envahissant. L'objet semble vibrer légèrement dans ma paume, comme s'il était vivant.

Je commence à explorer la maison avec le monocle, le cœur battant. Dans les pièces calcinées, je ne vois rien de particulier. Les vestiges noircis restent désespérément figés dans le réel. Mais dans les parties encore intactes, une étrange tension s'installe. En regardant à travers le monocle, tout semble... différent, presque translucide. C'est dans le bureau de mon père que l'étrange se manifeste pleinement.

Je balaie la pièce du regard avec le monocle et m'arrête net. Une armoire massive, adossée au mur derrière le bureau, n'apparaît pas dans la vision du miroir. Sans lui, elle est là, imposante. Avec, elle disparaît totalement. Mon souffle se bloque. Pourquoi une armoire se cacherait-elle ainsi ?

Mon instinct me pousse à agir. J'ouvre l'armoire d'un geste précipité, m'attendant à découvrir des secrets enfouis, des archives, peut-être des objets liés à l'incendie. Mais tout ce que je trouve, ce sont des vêtements suspendus, banals et sans intérêt. Je me fraie un passage entre les tissus, quand soudain le sol semble se dérober sous mes pieds.

La chute est vertigineuse. L'air siffle autour de moi tandis que je tombe dans un abîme sans fin. Autour de moi, des miroirs tournoient, reflétant des fragments de visages. Les miens, ceux de mes parents, des portraits que je ne reconnais pas. Chaque surface brille d'un éclat spectral, illuminant l'obscurité environnante. Je tends la main, essayant de m'agripper à quelque chose, mais il n'y a rien.

Puis, tout s'arrête brusquement. J'atterris lourdement sur un lit moelleux, si familier que mon cœur se serre à nouveau. C'est mon lit, du moins, il lui ressemble étrangement. Mais ce n'est pas ma chambre. La pièce est à la fois semblable et différente : les murs sont recouverts d'étranges dessins, les fenêtres sont opaques, et dans un coin, un miroir immense domine l'espace.

Je me redresse lentement, le monocle toujours en main. Une question brûle mes lèvres, s'échappant dans un murmure à peine audible :

— Où suis-je ?

Alice et le Pays des Mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant