Toxic

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Écrit le 5 novembre 2016.



Le froid mordait sa peau.


Il était trois heures et demie du matin. Assise dehors, dans le petit jardin de sa maison, la jeune fille fumait cigarettes sur cigarettes, son téléphone à ses côtés laissait s'échapper des sons qu'elle qualifiait d'agressifs. Elle portait un pull orange fin, un simple jean et des chaussettes blanches qui risquaient de ne plus l'être après sa petite escapade dans le jardin. Silencieuse, elle regardait comme fascinée la fumée sortie maladroitement de ses lèvres s'envoler, portée par le vent glacé de novembre. Elle avait amené avec elle un petit gilet en laine blanc et noir qu'elle aimait beaucoup mais le froid ne disparaissait pas pour autant. Alors elle fumait.

Insupportable.

Les yeux grands ouverts, elle semblait cependant un peu endormie. Les musiques rock qu'elle avait enregistrées sur son téléphone s'enchainaient, allant de Joan Jett à Gerry Rafferty en passant par The Adolescents. Le rock... Elle prit une bouffée tandis que Baker Street raisonnait à ses oreilles. Merde, le rock... Deux bouffées. Le rock, elle aimait ça, sans aucun doute. Mais pas que ça. Et elle ne pouvait s'empêcher de se haïr, de se trouver condescendante, de se mépriser pour oser écouter du rock comme si ce genre musical était supérieur au rap ou à la musique de variété d'"aujourd'hui". Comme si le simple fait de n'écouter presque que ça était un signe révélateur qu'elle estimait le rock supérieur au reste. A Jul, PNL, Taylor Swift et tous ces artistes que les gens se plaisaient à aimer ou à détester parce que ce serait de la bonne musique qui dit des choses vraies ou des trucs pour les kikous de 10 ans qui ne connaissent rien à la vraie musique. Alors que le solo du saxophoniste retentissait dans la nuit, un dégoût profond envers sa personne s'empara d'elle à nouveau. Elle s'en voulait d'être si condescendante, si prétentieuse sans vraiment l'être. Si méprisante. Si méprisable. Alors elle fumait.

Vraiment des idiots.

Réfléchir, c'était difficile. Elle était fatiguée et ses paupières devenaient lourdes. Mais elle avait décidé de sourire et elle s'était levée tandis que The Breakup Song commençait. C'était beau. Elle aimait ça, elle aimait ces chansons, elle aimait la musique. Et elle se sentait bien, dehors, dans le froid, au milieu de la nuit. Parce que ça rompait avec le quotidien, sans nul doute. Elle était sortie fumer dehors parce que l'intérieur l'étouffait, qu'elle était lasse. Qu'on n'y ressentait rien. Quel plaisir ce fut lorsqu'elle prit la première bouffée de la première cigarette de son premier paquet alors que le vent lui hurlait dans les oreilles et que le froid la mordait de partout. Elle ouvrit la bouche avec force et hurla silencieusement le refrain d'Amoeba qu'elle aimait parce qu'il était puissant. Elle se rassit dans un rire muet alors que la voix de Bowie s'élevait petit-à-petit. Elle était immobile. Elle écoutait Heroes. Elle ne réfléchissait pas. Elle ne voulait rien, elle voulait tout. Alors elle fumait.

Je hais réellement la vie.

Et une simple pensée la brisa pour cette nuit bien qu'elle sache pertinemment qu'elle irait parfaitement bien le lendemain. Une simple pensée acheva de laisser sortir ce hurlement intérieur, ce déchaînement en elle auquel elle ne voulait pas penser pour préserver l'équilibre. Elle ferma les yeux. Cette simple pensée... Elle resta ainsi plusieurs minutes. Silencieuse, presque endormie, les yeux mi-clos, la bouche entrouverte contre la porte sale du garage de sa petite maison. Enfin, alors que Blue Monday avait déjà été bien entamée, elle se leva, coupa la musique et ouvrit la porte avant de se diriger vers sa chambre, prête à s'endormir et à aller bien le lendemain.


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