Les sanglots de la pluie

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La pluie gouttait le long des feuilles des arbres et faisait tinter les pavés clairs en un tapement discret. On aurait dit que rien ne pouvait l'interrompre, ce son, si clair et en même temps si frêle, comme susceptible d'être tué dans l'œuf. La musique du ciel qui pleurait était pourtant ignorée par tous ceux qui pourraient la sentir caresser leur peau et leurs oreilles tant elle était devenue ordinaire.

Ou presque.

Le son de son respirateur créait avec cette pluie fraiche une sorte de dissonance, une fausse note au milieu des tons clairs et purs, mais c'était la première fois depuis qu'il avait été enfermé dans cette prison qu'était cette armure qu'il ne l'entendait plus. La seule mélodie qui lui parvenait, c'était ces minuscules et innombrables gouttes d'eau qui dansaient et martelaient en même temps le métal glacé de son masque, de son casque, de son corps. C'était le seul plaisir éphémère dont il pouvait encore profiter, ce son, car il ne sentirait plus jamais la douceur froide de la pluie sur sa peau brulée. La dernière fois avait été en ce jour funeste dont il ne voulait, ne pouvait plus se souvenir, ce jour où il avait perdu tout ce qui lui importait vraiment. Ce jour-là, la pluie l'avait mordu et gelé jusqu'à la moelle des os, mais il l'avait ignorée, elle comme le froid, enlisé comme il l'était dans la souffrance incendiaire et indicible contre laquelle il luttait, encore aujourd'hui.

Il était étrangement seul dans cette immense allée au milieu du lac. Tous avaient fui devant sa silhouette menaçante comme auréolée de ténèbres vivantes. Les parents avaient emmené leurs enfants, les amis avaient battu en retraite, les amoureux avaient pris leurs jambes à leur cou. Même les flammes dans les coupoles bordant l'allée semblaient prêtes à s'éteindre, tant, semblait-il, sous la force tranquille de la pluie que de par la présence de ce spectre de chair et de métal.

Mais Vador n'aurait pu s'en ficher davantage.

Non. Son regard insectoïde était totalement concentré vers la forme imposante, mais délicate à la fois, du mausolée flanqué de hautes colonnes et de statues représentant les déesses gardiennes de Naboo. Ces dernières, tête haute et regard lointain, tendaient leurs lances vers le ciel, comme pour le défier de faire tomber ses larmes sur le lieu qu'elles gardaient si fidèlement. Leurs traits ciselés et apparemment sans âge ne permettaient cependant pas d'effacer la douleur et le chagrin qui régnaient sur ces lieux.

Ces émotions résonnaient dans la Force avec une telle puissance que Vador eut fugacement l'impression de ressentir des vibrations de tristesse provenant de tout le peuple de cette planète. Cette planète si belle et en même temps berceau de tant de souvenirs déchirants.

Ça le brulait, ces sentiments, ces émotions, à présent indignes de lui, censés appartenir à un homme mort, mais impossible à effacer. Sa mémoire était un maelstrom sans fin de mort, de souffrance, de flammes et de haine, mais aussi des traces fugaces de joie, d'amitié...

D'amour.

Il ferma les yeux derrière son masque en retenant ce qu'il refusait reconnaître comme étant des larmes, et derrière le voile de ses paupières flotta le fantôme d'un sourire solaire, de boucles sombres, d'un ventre arrondi par le bonheur et l'espérance d'un futur lumineux...

Ce bâtiment, ce mausolée, ne lui ressemblait pas. Il ne la retrouvait pas dans ces courbes, cette coupole et ces lignes, marques architecturales si distinctives de cette planète qu'il haïssait à présent autant qu'il l'avait aimée.

Que faisait-il ici, d'ailleurs ? N'avait-il pas autre chose à faire ? Il aurait dû enterrer le passé, s'en détourner comme on le ferait de quelque chose que l'on souhaite ardemment oublier. Les jours, les semaines, les mois s'étaient pourtant écoulés aussi lentement que la course interminable des soleils de Tatooine, et il n'arrivait pas à oublier.

Les sanglots de la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant