Chapitre I: Le paysan insatisfait (Partie 3)

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   Après le repas et une longue marche, nous approchons enfin du champ de bataille en devenir. La course du soleil semble indiquer qu'il n'est pas loin de midi. Nous pouvons apercevoir nos ennemis en face, à la lisière d'un bois. La prairie qui nous sépare est bien dégagée, les petits seigneurs ont bien choisi leur terrain de jeu. Trois cavaliers quittent alors notre troupe. Symétrie parfaite précédant le chaos, trois cavaliers se détachent également de chez l'adversaire. Parmi eux, sûrement le noble chargé de diriger le combat, et son second. Le dernier étant nécessairement le porte-étendard. En face de nous, ces barbares immondes que nous devrons terrasser. Ils veulent notre mort, ils veulent nos terres, ils veulent nos femmes. Tout cela, pour assouvir leurs plus bas instincts. Ils ne méritent qu'un châtiment tel que la mort, qui ne semble même que trop belle pour eux. Quand les deux chefs se sont fait part de leur respect mutuel, ridicule rituel, les cavaliers font demi-tour, et alors nous sentons que l'heure approche. Quand ils sont enfin parmi nous, notre noblillon de parade nous fait un merveilleux discours dont je n'écoute un traître mot tant je trépigne d'impatience. Toutefois, l'effet escompté semble se retrouver chez mes camarades.

   Mon inattention ou simplement le cruel hasard me place en première ligne. Quand j'entends l'ordre de la charge, une fois que le premier brave a amorcé sa course, je m'arrache au sol et me met à courir vers la horde ennemie, qui, elle aussi, charge. La proximité du combat, et l'adrénaline qu'elle me procure m'exhorte alors à courir de plus en plus vite, malgré le poids de mon équipement. Je raffermis ma prise sur ma lance et ne sais plus désormais qu'une chose: à l'issue de ce combat, je rentrerai chez moi. Cela en a toujours été ainsi, il suffit d'écouter les chansons. Je ne suis peut-être pas un grand chevalier, mais j'ai de solides raisons de me battre. Une salve de flèches atterrit alors sur la première ligne ennemie. Je ne peux me retenir d'éprouver une immense satisfaction. Un nuage masque alors le soleil, un étrange bourdonnement se fait entendre, puis des cris. Une douleur s'empare alors soudainement de mon torse, ma course se ralentit brutalement. En réalité, je réalise que je ne cours plus. Je suis juste à terre, me tenant tant bien que mal sur mes genoux. J'ai peine à respirer. Je regarde mes mains rougies par le sang et j'aperçois alors enfin cette flèche plantée dans ma poitrine. Une larme m'échappe, je m'étends sur le sol. Quelques nuages voilent partiellement le soleil, mais celui-ci continue de m'envelopper de ses doux rayons. Je suis fatigué. Et abattu. C'est le cas de le dire. Je sais que je ne reverrai plus, de mon petit village, fumer la cheminée. Jamais plus je ne reverrais mon lopin de terre, ma femme, mon fils. Les larmes coulent mais seule cette étrange plénitude envahit mon esprit. Je ferme alors les yeux et laisse les ténèbres s'emparer de moi.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant