Chapitre V: La guerrière libre (Partie 3)

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  Une heure ou deux ont dû s'écouler, durant lesquelles j'ai parcouru ce livre de contes et de récits épiques, si stimulants pour l'imagination. Après avoir fini mon chapitre, je repose le livre et me lève: ma vessie me rappelle à l'ordre. Je souffle la chandelle que j'avais allumée, et sors de ma tente pour me diriger vers le bois. Je m'enfonce parmi les fourrés, voulant m'éloigner un maximum du campement, de manière à être sûre que personne ne viendra me surprendre. J'atteins enfin une distance que je juge raisonnable quand j'entends un bruit derrière moi. Puis un autre, plus proche, sur ma gauche. Les buissons s'écartent devant, derrière, sur mes flancs, et c'est un total de quatre hommes qui m'encerclent. Malgré la très faible luminosité, leurs rictus narquois ne laissent que peu de doute sur leurs intentions, et cela n'est pas pour me rassurer. Je porte instinctivement ma main d'épée à ma hanche, pour ne brasser que de l'air. Porter mon autre main au même niveau me rappelle que je n'ai pas même ma dague. Je me sens nue et démunie, sans armes ni armure, voyant ce cercle malsain se refermer, ne me laisser aucune échappatoire.

" - Alors, ma jolie, on veut faire comme les hommes ? Faudrait tout de même pas abîmer ce joli minois! Tout comme faudrait pas tacher de sang ces beaux cheveux qu't'as! commence celui se tenant derrière moi.

- Alors toi t'as l'œil! On va bien s'amuser! poursuit l'un de ses compères, celui sur ma gauche.

- Il te manque quequ'chose ? T'crois quand même pas que même avec une épée t'pourrais défaire de fins bretteurs comme nous?" acheva celui se tenant fièrement en face de moi, prenant un air noble sur ses derniers mots, avant d'esquisser un sourire manquant cruellement de dents.

   Je suis estomaquée, et je ne sais comment agir. Inutile de crier, je sais qu'il n'y a personne aux alentours, ou du moins personne d'assez recommandable pour daigner m'aider. Mais comment ont-ils su que j'étais une femme ? J'ai bien pris toutes les précautions. Comment ? Je regarde autour de moi, cherchant désespérément une issue tandis qu'ils continuent d'avancer nonchalamment, mais avec assurance. C'est en regardant dans mon dos que je reconnais le soldat qui m'avait dévisagé auparavant. Se pourrait-il qu'il m'ait vu pendant la bataille quand mon casque s'est envolé ? Ce n'est pas impossible... Les quatre hommes se jettent alors simultanément sur moi, me saisissant les bras alors que j'essaie de saisir la gorge de l'un d'entre eux. Mais mes muscles ne sont pas assez développés, leur emprise est bien trop forte, et ma vivacité si efficace en combat m'est inutile ici. Je tente de leur lacérer les mains avec les ongles mais ceux-ci sont bien loin d'être assez acérés, et les deux qui me tiennent n'ont qu'à raffermir leur prise et positionner leurs mains si rugueuses sur mes avant-bras pour définitivement me maîtriser. Je tente d'envoyer un coup de pied au monstre répugnant qui semble être leur chef, et y parvient, mais ne l'atteint qu'à la cuisse, ce qui n'a pas dû lui causer grande douleur.

" - T'nez-moi cette garce mieux qu'ça, si vous v'lez y gôuter après!"

   Je crie alors, de désespoir préférant cela plutôt que leur offrir le spectacle de mes larmes, mais une monumentale claque me fait taire. C'est alors que mon esprit s'enfuit, et je suis là, dans un recoin de ma conscience, devant tout de même assister à cet acte horrible et répugnant que réalisent les quatre bêtes, tour à tour. Toute sensation disparaît de mon corps, à mon plus grand soulagement, si l'on peut parler de soulagement dans cette situation. Seule mon ouïe me trahit, m'infligeant le bruit de leurs rires, de leur plaisir, de leurs insultes. Tous ces sons se gravent en moi, me dévastent, sont comme un tourbillon qui emporte toute ma joie passée, tous mes bonheurs, tout. Je sens finalement les larmes qui coulent sur la peau de mes joues, mais je ne veux pas que revienne le toucher, ne souiller plus mon esprit qu'il ne l'est déjà par leurs simples sons. Une autre claque m'atteint, accompagnée d'une injonction à cesser tout cela. Mais même si je le voulais, que pourrais-je y faire ? Je ne suis même plus maître de mes pensées! Les coups continuent de m'atteindre, faisant de nouveau place à la douleur en mon esprit désormais fou, fou de rage, fou de peine, fou de honte, fou de désespoir. Après une infinité d'éternité, je me retrouve au sol, dénudée, sanglotant et gémissant, incapable du moindre mouvement. Je les entends parler. Le bruit est si faible, ils sont si loin, et pourtant bien trop proches. Je ne suis plus en ce monde, je ne vis plus en ce corps que je considère désormais comme étranger. L'un d'eux s'approche, je l'aperçois entre mes larmes, malgré mon œil droit tuméfié. Un reflet de lune révèle la lame qu'il tient dans sa main droite. Il me relève la tête en me tirant par les cheveux. Je reconnais celui qui n'avait pipé mot. Aucune émotion ne transparaît sur son visage. Ou alors ma vue est-elle trop brouillée pour que je ne puisse le distinguer ? Il pose sa lame si froide sur mon cou si chaud, brûlant à cause des coups comme de la honte. Je suis vidée, je n'ai plus aucune force en moi. Je tente de fermer mes paupières, mais mon hématome me force à garder un œil ouvert quand la lame pénètre ma chair, avant d'atteindre mon artère. Je disparais d'un corps qui n'était plus le mien, d'un monde qui n'a jamais été le mien. Je pars, et la seule chose qui atténue ma peine, c'est de savoir que jamais mon sort ne sera connu d'autres. Je pars pour un ultime périple, dont je ne souhaite que la destination finale ne soit plus que le néant et l'oubli.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant