- Unique - Tome 2

Chapitre 42 : Faustine

Pendant un moment qui semble une éternité, aucun de nous n'ose faire un geste. Nous restons tous les cinq parfaitement immobiles, comme paralysés.

L'horreur de la vision qui s'impose à nous est trop grande pour être immédiatement analysée ou même acceptée. Je ne pense plus à rien, c'est à peine si je respire. J'ai l'impression que mon cerveau bloque toutes émotions. Je suis en état de choc. Nous le sommes tous.

Puis, le même grincement insupportable retentit à nouveau mais cette fois, aucun de nous ne se couvre les oreilles. Nous restons interdits tandis que le corps de Miles, toujours suspendu par des câbles métalliques, descend lentement vers le sol, centimètre par centimètre. Des gouttes de sang tombent sur le sol, marquant à l'encre rouge le béton abîmé.

Je reconnais à peine Miles. Son visage, donc la moitié est si boursouflé qu'il en est déformé, est couvert de sang. Ses membres pendent comme s'il n'était qu'une vulgaire poupée désarticulée, dans des vêtements mouillés d'un liquide sombre dont l'origine ne fait aucun doute. Cà et là, des entailles sont visibles, tant sur sa peau que sur ses vêtements.

Pendant un bref instant, je manque de vomir ou de m'évanouir. Pendant un bref instant, je me demande si je suis assez forte pour supporter ça.

Rune lâche un sanglot d'horreur étouffé en portant ses mains à sa bouche et Jake bouge le premier pour aller la réconforter. Je vois Abby se rapprocher d'eux dans ma vision périphérique. Peeter, tout comme moi, reste immobile, le regard fixé sur le corps inerte qui descend toujours un peu plus bas.

Je me demande combien de temps je vais pouvoir rester là sans bouger, sans admettre la vérité. Je me demande combien de temps il me reste avant que je perde complètement l'esprit. Ou que plus rien ne m'atteigne.

Des visions me reviennent par flash. Les ruines fumantes du Centre du Secteur 9 mélangées aux cendres de celui qui a été mon père pendant la majorité de ma vie. Le sang du docteur Zidler couvrant doucement la neige immaculée. Mon reflet dans le miroir en sortant de la Tour. L'image de Rune passant à travers une vitre et se retournant le visage couvert de morceaux de verre. Jay Balder s'acharnant sur moi. Miles se recevant une flèche.

Un son étrange sort de ma gorge, comme un râle, un mélange de désespoir et d'agonie. Je suis à deux doigts de flancher. Je n'en peux plus. Cette souffrance qui me dévore les entrailles doit cesser. Je suis à bout. Je...

Au moment où les pieds de Miles touchent le sol, une grimace de douleur se dessine sur son visage et un faible grognement sort de sa bouche.

Je me précipite vers lui, trébuchant presque, et me mets à genoux à ses côtés le temps que la structure métallique le pose entièrement sur le sol. Il est en vie, je me répète intérieurement. Miles est vivant.

Un simple regard sur son corps m'annonce qu'il aurait peut-être mieux valu pour lui que ce ne soit pas le cas. Mais je suis bien trop égoïste pour ne serait-ce que penser à l'achever.

De près, son visage est bien pire que ce que je voyais. Miles est méconnaissable. Seul un œil arrive à s'ouvrir suffisamment pour me regarder.

-Ma petite, crache-t-il dans un souffle.

-Papa, je réponds d'une toute petite voix, sentant mes larmes couvrir mes joues.

Il n'y a pas d'autres mots à dire. Tout se passe dans cet échange silencieux. Dans l'horreur, le bonheur que l'autre soit toujours en vie. Le soulagement d'être ensemble, peu importe la suite. L'amour sans nom, sans limite, qui se transmet d'un simple souffle, d'un simple regard.