C'est un mardi soir, un mardi calme et paisible. Dans notre âme seulement.
Les gens traversent la forêt en courant, ou en marchant gaiment. Plus personne n'a à se préoccuper de la peur, de la mort, de se cacher. C'est fini, et c'est la fin des catastrophes, des cataclysmes et des larmes. La fin d'une autre page de l'histoire qu'on tourne, qu'on essaie d'oublier, mais en vain.
On en porte tous les cicatrices, elles sont ancrées au fond de nous, marquées sur les rides de nos fronts largement plissés. Ces cicatrices qui nous font et nous modèlent, qui nous consistuent et tracent notre personne. Ces cicatrices que la guerre a amené et que nous auront du mal a essuyer.La forêt paraît plus vivante, les arbres moins morts et moins dénudés. Tout paraît plus vivace, mais c'est sûrement parce qu'avant, tout était sur pause. Il n'y avait rien d'autre que l'attente, interminable et torturante. Et maintenant que tout reprend, j'ai du mal à avancer.
Après un an à fuir et à se cacher des bombes, comment fait t-on pour marcher sans avoir peur?
Comment fait t-on pour retrouver une vie normale?
Comment la vie fait-elle pour reprendre son cours?Je marche, mais je m'épuise. Il m'arrive de trébucher, mais elle me rattrape. Comme toujours, quand je menace de tomber, elle m'arrête et m'empêche de me briser. Je lui tiens la main. Rien ni personne ne pourra me l'enlever.
La phrase est si douce et si clichée que je me la répète jusqu'à me noyer dedans. Comment un mec aussi blasé que moi peut-il croire à ces conneries?
J'y crois si fort que lorsque j'y pense un sourire niais se forme sur mes lèvres endolories.Plus tard, lorsque je suis enfin stabilisé et que je me sens vivant, comme tout les autres, je me met à lui parler.
Les mots n'ont pas vraiment de sens précis, c'est un ensemble et une suite bien alignées de paroles et de syllabes pré mâchées. C'est si désordonné, comme tout dans ma tête. Comme les gens perdus et amaigris qui marchent devant nous, le pas lourd et pesant. Tout est trop lent, trop hachuré et il m'arrive de me demander de quoi je lui parle. Pourtant elle continue de répondre, sans jamais se lasser, sans aucune interruption.
Elle me plaît parce qu'elle sait suivre le bordel dans ma tête et qu'elle semble le connaître sur le bout des doigts.
Elle n'essaie plus vraiment de me suivre lors de mes moments de silence, elle me laisse penser. Elle sait qu'il n'est jamais bon de me séparer de mes réflexions, parce que cette fille sait tout. De moi, de mon âme, et j'aime à savoir que tout lui appartient. Je lui donnerai bien tout de ces nœuds que je me fais au cerveau pour pouvoir en discuter avec elle. Mais il faut déjà que je comprenne moi même, et c'est si difficile.
Sa voix est rauque, elle a les yeux rouges et fatigués. Je ne peux pas m'arrêter de penser à nous, et une chaleur m'empli de toute part, traverse mes pores et me donne chaud. C'est comme si tout était un brasier à l'intérieur de moi, comme si les pulsations de mon cœur me donnaient dix fois plus que ce que mes veines peuvent porter. Tout ce sang chaud me monte à la tête, et je vibre, et il m'arrive parfois de fermer les yeux tant tout est incontrôlable. C'est par vagues, ça s'écrase contre mon cœur comme de l'écume. Et j'aime ça. J'aime me sentir vivant, en colère, triste ou bien heureux à en mourir.
C'est mieux que rien du tout. Mieux que de se sentir vide, pris au piège.
Elizabeth ne le sait pas, mais elle m'a sorti d'une cage de tristesse que personne ne pouvait voir. Et grâce à elle, tout autour de moi me donne envie. Une putain d'envie de tout, de tout ce qui pourrait me donner l'impression d'utiliser mon corps et mon esprit de manière à exister. Je ne suis plus une enveloppe, je sens que quelque chose est à l'intérieur.
Un énorme concentré de bonheur.On est assis dans un train miteux. Les gens autour de nous ne sont que des fantômes, les cernes noires autour de leurs yeux sont immenses. Elles soulignent admirablement leurs prunelles mornes. Putain, c'est géant. On se croirait entourés de zombies.
Je suis bien moins hébété et endormi que tout à l'heure.
Des militaires passent nous jeter le journal à la gueule, l'air de dire "tenez, soyez au courant du désastre qu'est devenu notre pays". C'est drôle, de voir qu'ils nous tendent cet amas de papier fin et couvert de petits caractères noirs. Je pensais qu'ils nous auraient donné des tablettes.
Apparemment, la guerre ne fait pas que régresser l'estime personnelle et le temps de survie qu'il nous reste, mais aussi la technologie.
Es ce qu'on va devoir utiliser des machines à écrire quand on rentrera? Ça serait géant.
-Tom.
Je la regarde d'un air endormi. Elle par contre, n'a absolument pas les yeux posés sur moi.
Je déteste quand elle me tire de mes pensées.
Soudain, je suis perdu. À quoi pensais-je?
Que regarde t-elle?
Et pendant que l'image d'une machine à écrire réapparaît furtivement dans ma tête, je me retourne.
Un immense tableau noir affiche le nom des villes détruites, le nombre de victimes dans chacune d'entre elles, notre destination et les villes encore habitables.
Je balaie des yeux le nom des villes détruites.
Rien que des villes de l'Ouest, ça ne m'étonne pas...
Je m'arrête soudainement de respirer.
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Lettre par lettre
Teen FictionLil et Tom sont meilleurs amis depuis le tout commencement. Lil et Tom habitent chacun à 750 km de l'autre. Pourtant, cette distance est habituelle, comme quelque chose qui leur permet de mener une vie chacun de leur côté. Lil et Tom s'envoient cha...